COMMUNS : POUR UNE INSTITUTION MODERNE

Membre de sections de commune importantes (quatre) qui fonctionnent depuis près de mille ans, je me servis, dans mes recherches doctorales[1] de géographe du développement local, de ma connaissance pratique du fait commun afin d’évaluer la manière dont les pouvoirs traitaient les usagers de biens mal défendus, voire pas défendus du tout ; usagers qui, a priori, constituent la base la plus humble de la République. Par ailleurs, l’association nationale (AFASC) qui s’occupe des sections de commune m’a confié des responsabilités depuis des années. J’occupe donc une situation assez schizophrénique sur le sujet entre mes observations empiriques de communer et mes recherches universitaires théoriques.


[1]          L’analyse de la valeur des fonctions du monde rural : l’exemple des pays de Regordane (2004)

 

 

1          POUR UNE INSTITUTION MODERNE DES COMMUNS

Le but de ma réflexion est de concevoir une institution moderne qui soit plus adaptée que le modèle existant de section de commune à la problématique des biens communs en particulier et des communs en général. Quel modèle d'institution moderne entre les habitants d'un finage et l’énergie naturelle dont ils disposent pouvons-nous concevoir et réaliser afin de créer de la valeur indélocalisable et partagée équitablement ? Il y a urgence.

Le prix d’économie de la Banque de Suède en 2009 d’OSTROM lancèrent un foisonnement de travaux de recherche, d’expériences de terrain et d’analyses politiques, le tout à l’échelle mondiale, qui nous offrent une documentation étoffée afin d’aborder la conception d’institutions de communs adaptés à l’environnement juridique actuel de notre pays. La démarche repose sur un terrain robuste :

1          Il existe en France, un corpus de droit prétorien, assez stable depuis le 17ème siècle, relatif aux biens des communautés villageoises.

2          Les travaux de Pierre-Joseph PROUDHON mettent à notre disposition une théorie de la valeur simplissime permettant de valider en temps réel pratiques et résultats ;

3          Ceux de Robert AXELROD proposent une théorie de la coopération solide pour le meilleur en évitant le pire ;

4          Ceux d’Emmanuel TODD nous proposent une analyse très documentée du fonctionnement au consensus de la cellule de base sociétale : la famille ;

5          Existe une exploration balbutiante, mais aigüe, de l’économie de la connaissance : elle ouvre une ressource pratiquement infinie à la création de valeur par une institution de commun.

6          Les données empiriques sur les institutions de biens des communautés villageoises en France couvrent plusieurs siècles de fonctionnements chaotiques, certes, mais à valeur expérimentale remarquable.  

À partir de l’hypothèse que nos règles constitutionnelles nationales permettent des institutions efficientes de communs, le projet vise d’y intégrer l’analyse d’OSTROM, politologue institutionnaliste, en quantifiant et hiérarchisant ses conclusions ; de prendre en considération les apports de PROUDHON, AXELROD, TODD et autres ; d’explorer et intégrer le champ des possibles ouverts dans l’économie de la connaissance par internet et le web

 

2          PETITE HISTOIRE DES BIENS DES COMMUNAUTÉ VILLAGEOISES

Depuis l’origine de la sédentarisation de clans humains, il y a environ 30 000 ans ( ?), le schéma de biens communs domine le partage des ressources d’un territoire : le finage, pour utiliser une appellation ancienne commode. En Europe, à partir de son invention par Rome, la propriété privée diffuse (1) par la conquête de territoires dont les meilleures terres agricoles sont partagées entre vétérans, (2) mais aussi sur le processus à long terme d'appropriation  de terres communes au consensus entre ménages du finage. Ce processus fonctionne sans trop d’à coup jusque vers le 15ème siècle ; moment où l’ascenseur social féodal : la chevalerie, s’épuise.  La Renaissance apparaît, avec le recul, la période de l’histoire européenne où les élites de la bourgeoisie commerçante consacrent une créativité débordante afin d’extraire le maximum de revenus personnels de la valeur créée en commun ; en ce qui concerne les biens des communautés villageoises, les élites s’en emparent (1) par la violence des enclosures au Royaume-Uni ; (2) plus insidieusement, en France, par ventes forcées sous pression fiscale. Charles IX, par une « déclaration royale »  du 27 avril 1567, y met un terme et restitue aux communautés villageoises les biens dont elles furent spoliées et institue leur inaliénabilité ; jusqu’à la Révolution, la protection royale sur ces biens ne se démentira pas : Henry IV par un édit du 1er avril 1600, confirme la déclaration de Charles IX et l'inaliénabilité des biens des communauté villageoises ; Louis XIV, par son ordonnance du 13 août 1669, sur le fait des Eaux et Forêts, assure la protection policière de ces biens pour des motifs clairement stratégiques : la marine royale[1]. Cette ordonnance, complétée par un édit du 13 avril 1683 qui rappelle brutalement l’inaliénabilité de ces biens, établit une possession paisible pour longtemps aux communautés villageoises ; les Cours Royales de Justice participent à cet apaisement en traitant, dans les affaires de biens des communautés villageoises de la même manière manants, nobles[2] et clercs. Par la loi du 10 juin 1793, la Convention donne le nom de section de commune aux biens des communautés villageoises ; elle organise leur partage entre ayant-droits, d'autant sans succès quelle interdit le partage des bois et rend sans intérêt le partage des parcours ; elle met en place un système de laisser faire les membres qui perdurera jusqu’à l’ordonnance du 6 novembre 1945 confiant la gérance des biens de section au maire … le ver des conflits d’intérêts familiaux pénètre dans le fruit du contrat social local … les lois du 9 janvier 1985 et du 27 mai 2013 se mêleront d’administration des biens de section à contre logique de la notion de bien commun. La Révolution, puis la République n’ont rien compris aux biens des communautés villageoises, et à leur potentiel de développement rural ; elle a participé ainsi à la mise en friche du monde rural alors qu’il en détient plus de 90% des ressources naturelles, dont l’énergie. Les physiocrates, qui ont formaté l'instance économique de la Révolution,  considère les biens des communautés villageoises comme un non-sens à la propriété privée, inviolable et sacrée, mais aussi leur position repose sur une théorie de la valeur, largement fausse, de la rente agricole, unique.

L'histoire mondiale de la mise en valeur des territoires par les hommes confirme le processus européen et français : en pratique, au XVème siècle, la grande majorité des territoires mondiaux sont mis en valeur agricole en commun par un clan, une tribu, un village. Les colonisateurs européens seront confrontés un peu partout à la destruction des systèmes d'exploitation traditionnels locaux par l'introduction forcée de la propriété privée ; pour la France, les derniers avatars du processus se produisent en Algérie (spoliation des tribus berbères) et en Nouvelle-Calédonie dans la grotte d'Ouvéa (spoliation des biens claniques)

Aujourd’hui, nous pouvons affirmer, sans risque d’être démentie, que les biens et droits de section de commune sont, en France, le résidu de l’appropriation privée du territoire depuis trois millénaires.

Au même moment où la Banque de Suède décerne le prix Nobel d’économie à Élinor OSTROM (2009) pour ses travaux sur les communs démontrant leur efficience économique incomparable, notre représentation nationale s’engage à marches forcées dans la destruction des biens communs les plus nombreux en France : les sections de commune. Le génie de la race s'exprime une nouvelle fois.

3          POTENTIEL FRANÇAIS DE DÉVELOPPEMENT DES COMMUNS

Parmi les pays développés, la France dispose d’une situation enviable de potentiel de développement de biens communs :

1/         Nos règles constitutionnelles permettent la mise au point de n’importe quelle institution qui porterait une activité de commun. Il existe un article 5 dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui établit un principe général du droit permettant la réunion  des citoyens en n'importe quelle institution nouvelle licite ; or : « La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. »

2/         La formation et les connaissances de nos concitoyens sont immenses. La France est partie très tôt dans la course à l'éducation publique des enfants ; même en sautant l'image d'Épinal de l'épisode Charlemagne, l'éducation publique devient une préoccupation politique importante dés le 18ème siècle … rappelons les maisons d'assemblée ou de béates des hameaux du Velay, qui sous une forme ou autre, se retrouve ailleurs comme école de village ou hameau. Une loi de 1828 accordant aux comunautés de femmes la pleine capacité juridique a pour résultat presque immédiat de lancer l'éducation spécifique des petites filles, et l'amélioration sociale et culturelle qu'elle génère.   

3/         35 % de la population est salariée, donc 65% hors contrainte du salariat. Le salariat constitue le processus de captation de la valeur créée par d'autres le plus efficace au prix d'une sujétion lourde des salariés. Les communs sont le processus le plus efficient mis en place par les hommes afin de conserver la valeur entre ceux qui la créent. Leur efficience provient de deux facteurs que le management moderne de l'entreprise néglige au nom du bénéfice à court-terme : (1) les stockages de régularisation de cycle et de puissance de l'outil ; (2) la création de patrimoine lorsqu'existent des facteurs de production disponibles. Le Japon, en diffusant la méthode managériale du juste à temps, donne un contrexemple significatif : elle amena trente années d’économie molle dans ce pays.

4/         Notre pays est, probablement, l’un des pays développés dont la productivité globale est la plus élevée. Pour la raison historique qu’il se focalisa sur la productivité du travail en valeur par entreprise et non sur la productivité globale en volume du pays, la France parvient à engager peu d'heures de travail afin d'animer efficacement son système de production. En moyenne, que la productivité du travail (1) constitue le facteur de production le plus lourd, et (2) que son volume soit surestimé chez nous, a pour résultat pratique d'aboutir à une productivité globale du pays des meilleures parmi les pays développés. Mais avec deux effets pervers : (1) la mise en friche d’une partie importante de la ressource travail ; (2) la mise en friche de toutes les ressources locales qui ne dégagent pas suffisamment de marge au gré des entrepreneurs ; cependant (3) cela n’a nullement entamé la productivité globale du secteur des ménages : leurs systèmes d’exploitation s’adaptent automatiquement (presque) en temps réel à l’environnement existant. Ils représentent 17% de la VAB comptabilisée[3], mais détiennent, au 31 décembre 2012, 73,6% des actifs nets (positifs) du pays. 

5/         Pratiquement chaque mètre carré du territoire national capte une énergie suffisante à la subsistance de trois hommes adultes. Ce qui écrit que notre territoire dispose d’une énergie alimentaire potentielle pléthorique non seulement pour ses habitants, mais aussi pour une faune locale importante, variée et de qualité, capable de fertiliser une grande partie de sa surface agricole.

6/         L’énergie industrielle consommée ou produite représente à peine 0,4 % de l’énergie naturelle disponible (sous réserve d’erreurs de calcul). L’hypothèse que la Valeur Ajoutée Brute créée par notre activité anthropique en commun provient des processus de gradation/dégradation de l’énergie dont nous disposons rassure parce qu’existe la loi physique universelle de la conservation de l’énergie. Afin de fixer les idées, dans notre France tempérée, 6 km2 de territoire mettent en œuvre la puissance d’une centrale nucléaire moyenne ; or nous disposons de 58 centrales nucléaires et de 551 500 km2 de territoire, donc de l’énergie bien distribuée équivalente à 92 000 centrales nucléaires.

La famille souche[4] constitue le modèle empirique général du fonctionnement en commun basé sur l’action au consensus (pas sur la démocratie), avec des modèles étendus d’expérience multiséculaire comme les communautés religieuses ou celle des biens des communautés villageoises. Nous disposons donc d’un corpus empirique et d’un corpus théorique cohérents entre eux qui permettent toutes les audaces politiques, économiques et sociales.

 

[1]          Il existe une ordonnance d'avril 1667 qui établirait pour le royaume l'intérêt des biens des communautés villageoises : je n'ai pas retrouvé ce texte.

[2]          Le droit de triage : le noble qui pouvait présenter des titres de propriété des biens dont usait la communauté villageoise pouvait s’en voir attribuer un tiers en pleine propriété par le Tribunal

[3]          Nous ne savons pas évaluer la part non comptabilisée.

[4]          Cf Emmanuel TODD L’invention de l’Europe

 

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