NOTES DE LECTURE
Ces notes relèvent de la lecture de la traduction française en 2010 de la Gouvernance des biens communs d’Élinor OSTROM[i], prix Nobel d’économie 2009. Réalisons que l’œuvre originale date de 1990, donc qu’il pourra être reproché à cette analyse de ne pas tenir compte de l’évolution de la pensée depuis 20 ans[ii]. Clairement, ma vision des travaux d’OSTROM est influencé par mes propres recherches de géographe du développement local sur les biens communs de communauté villageoise en France, d’une part, et, d’autre part, comme ayant-droit et praticien de la gestion de biens communs non négligeables dans un département, la Lozère, où aucune exploitation rurale individuelle n’était économiquement viable sans une optimisation efficace des ressources apportés par les biens communs (biens de section) ; situation qui a perduré au moins jusqu’en 1962, date à laquelle l’État français s’est mis en tête qu’aucune croissance économique n’était possible sans une destruction préalable, par voies légales et réglementaires, des solidarités rurales dont les biens communs étaient la représentation la plus visible. L’issue de la guerre d’Algérie ne conduisit à aucune conscience politique sur le point de la spoliation, par l’État français, des tribus berbères de leurs biens communs ; quant au conflit de Nouvelle Calédonie, s’il a permis à Rocard d’offrir une réponse institutionnelle adaptée à la gestion des biens claniques kanaks, ce n’alla pas jusqu'à la prise de conscience nationale que la dérive de la classe politique sur les biens communs apporterait, mutatis mutandis, son lot de tempêtes destructrices du contrat social local en France. La partie la plus visible des recherches d’OSTROM (son prix le met en évidence) s’inscrit dans un corpus immense de recherches, menées aux EU sur le sujet, recherches qui n’avaient pas diffusées en Europe alors que nous étions des dizaines de praticiens et de chercheurs à ramer sur des questions auxquelles des réponses, plus ou moins complètes, existaient ailleurs.
Mises au point
(1) Le présent travail m’attire assez souvent des remarques sur la « productivité » des processus de mise en valeur des biens communs. Indépendamment du sens féérique fatal du mot (qui le vide de valeur sémantique sûre et de tout sens technique possible), prendre le bénéfice à très court terme comme grille d’analyse de l’efficacité économique de l’action humaine aboutit à éliminer du raisonnement global les processus à cycle plus long (ou plus court) que le cycle annuel. Tous ceux qui travaillent sur la notion de bien commun prennent rapidement conscience avoir à faire à des cycles longs, voire très long ; Elinor OSTROM le met en évidence dans sa démarche lorsqu’elle décortique la notion d’actualisation. Le principe d’actualisation paraît comme un ressort fondamental des règles de décision de l’action humaine (je propose même l’existence d’une dialogie implicite actualisation/opportunisme dans toutes décisions). Tous ceux qui travaillèrent soit comme forestiers soit comme agriculteurs dans leur vie savent, dans leur OS (Operating System) personnel, que le moindre des gestes qu’ils accomplirent créait de la richesse, non seulement en produits (au compte de résultat) mais aussi en patrimoine (au bilan) ; plus : qu’en cycle long, la création de richesse s’affecte, plus naturellement et facilement, à la valorisation du patrimoine qu’à celle des produits.
(2) Lors de son intervention à Montpellier, le 20 juin 2011, OSTROM insiste sur l’existence de limites robustes de l’ensemble des appropriateurs ; à côté des limites de la ressource.
(3) Je n’ai pas de retour « scientifique » sur la destruction par processus constitutionnels des institutions de biens communs au nom de la doxa sur la supériorité de la gestion privée sur toutes les autres (théorie de la firme) formes de gestion ; (exemples les zanjeras aux Philippines ou le Plan d’Ajustement Structurel au Mexique). Il paraît nécessaire maintenant (1) de définir rigoureusement et robustement les caractéristiques de biens communs ; (2) d’essayer de nouvelles institutions susceptibles de prendre en charge les champs modernes de biens communs (comme les réseaux d’informations et de communications) en tenant compte des acquis des recherches d’Élinor OSTROM.
ÉLINOR OSTROM
GOUVERNANCE DES BIENS COMMUNS (Chap. V)
5 ANALYSE DES DÉFAILLANCES ET VULNERABILITÉS INSTITUTIONNELLES
Élinor OSTROM propose d’examiner quelques gestions de biens communs existants afin de valider ou non l’analyse néo-institutionnelle. À partir du constat de la dissipation, de l’amélioration ou de la maintenance de la rente des biens communs dont bénéficient les appropriateurs.
Deux pêcheries littorales turques confrontées à des problèmes de ressources communes permanents (Alanya)
La limite et les accès à la ressource ne sont pas clairement fixés, les arènes de choix collectifs, les mécanismes de règlement des conflits, les droits d’organisation sont faibles. Ce cas qui aboutit à une dissipation rapide de la rente.
Des nappes aquifères californiennes confrontées à des problèmes de ressources communes permanentes (Mojave).
La limite et les accès à la ressource ne sont pas fixés. Dissipation régulière de la rente.
Une pêcherie sri-lankaise (Mawelle).
La limite et les accès à la ressource ne sont pas fixés. Dissipation de la rente
Projet de développement de système d’irrigation au Sri Lanka (Gal Oya, Kirindi Oya)
Ces systèmes d’irrigation furent mis en place par programmes internationaux et gestion étatique des institutions mises en place. Les différentes expériences montrent les échecs et les plus ou moins grandes réussites selon l’évolution de la gestion « étatique » vers celle par les irrigants. Ces cas mettent confirment la nécessité de la gestion de la ressource par l’ensemble des appropriateurs.
La fragilité des pêcheries littorales de Nouvelle-Écosse
Les appropriateurs ne disposent d’aucun droit à s’auto organiser.
LES LEÇONS À TIRER DE LA COMPARAISON DES CAS PRÉSENTÉS DANS CETTE ETUDE
Les règles constitutionnelles de gouvernance des biens communs apparaissent au fur et à mesure de l’avancée des travaux. Je propose de les formaliser clairement ici :
1/ Limites et accès à la ressource clairement définis : L’importance de définir juridiquement les limites de la ressource va de pair avec la définition robuste des ayants-droit.
2/ Concordance des règles : les règles, quelque soit leur niveau, doivent tendre aux mêmes buts mais aussi contraindre les stratégies individuelles des différents appropriateurs et des différents groupes d’intérêts vers une stratégie commune. (Voir au chapitre 2 l’analyse du système de règles constitutionnelles, de règles de choix collectifs et de règles opérationnelles).
3/ Arènes de choix collectifs : organisation d’un lieu qui permette, en temps réel, d’élaborer et exécuter les choix collectifs.[iii]
4/ Surveillance du respect des règles : aucune règle ne vaut s’il n’existe pas un processus de surveillance de son respect ; dans le cas des biens communs, un processus le plus proche possible de l’automatisme. En matière de biens communs, il est nécessaire que le processus de surveillance ne consomme pas le gain de la gouvernance de l’institution.[iv]
5/ Sanctions graduelles : L’ensemble de la recherche a montré qu’une institution de biens communs se trouvait assez finement réguler par les intérêts réciproques récurrents de voisinage et que, dans la majorité des cas, un simple rappel mettait fin à un éventuel dysfonctionnement ; même en cas de situations exceptionnelles.
6/ Mécanisme de résolution des conflits : le mécanisme de résolution des conflits doit être, en même temps (1) peu coûteux ; (2) presqu’en temps réel.
7/ Droits d’ (auto) organisation reconnus : l’ensemble du travail d’OSTROM montre que les organisations efficaces de biens communs sont celles qui disposent des moyens de réagir au fur et à mesure de l’évolution des données sur la ressource et sur les appropriateurs.
8/ Unités imbriquées : Il existe plusieurs zones de recouvrement possible en matière de biens communs : (1) géographiques, (2) sur les ressources, (3) des sous-réseaux sociaux ou physiques, (4) types et compétences des institutions impliquées ; avec, dans tous les cas, des conflits potentiels sur les zones de recouvrements.
*
***
OSTROM met en évidence la robustesse des institutions qui établissent et maintiennent l’ensemble des règles dégagées par l’analyse néo-institutionnelle. Mais aussi le caractère pratiquement complémentaire de l’ensemble des règles détectées. L’échantillon est insuffisant pour permettre l’analyse de la suppression ou l’introduction une à une des règles détectées
Ces règles constitutionnelles permettent d’établir des institutions de gouvernance des biens communs efficaces mais aussi de pronostiquer l’avenir d’une institution créée ex nihilo ou modifiée. Il paraît probable (en tous les cas l’hypothèse devra être vérifiée) que les mêmes règles constitutionnelles de gouvernance appliquées aux autres modalités d’appropriation des biens et droits (en particulier biens privés ou biens publics) devraient grandement améliorer l’efficacité des institutions qui les gouvernent : États, collectivités locales, entreprises, mutuelles, coopératives, indivisions, associations, fondations, etc ... Une autre formalisation des droits individuels et collectifs garantis doit être adoptée.[v]
Nous pouvons nous mettre facilement d’accord sur l’efficacité de la gestion des biens communs à partir de quelques critères : (1) rente maintenue ou améliorée ; (2) valeur patrimoniale augmentée ; (3) coût de la gouvernance (nettement) inférieur aux produits ; (4) processus d’actualisation équitable à tous termes pour les ayants-droit.
En ce qui concerne la France, il suffit d’analyser la loi du 9 janvier 1985 avec la grille d’Élinor OSTROM pour conclure que, non seulement, cette loi n’avait aucune chance d’améliorer l’efficacité de la gestion de biens communs des villages, mais encore, qu’elle a détruit les dispositions du corpus légal et réglementaire en la matière qui permettaient cependant aux appropriateurs éclairés de tirer bénéfice de leurs biens communs en respectant les us et coutumes ancestraux. Afin de parfaire la logique française de gestion des biens communs, il conviendrait d’analyser, avec la même grille, des institutions comme les Associations Syndicales Autorisées et les copropriétés.
[i] Élinor OSTROM Gouvernance des biens communs, De Boeck éditeur (juin 2010)
[ii] Cf Action collective et développement : Eric SABOURIN, Martine ANTONA (2003) : http://www.la-garde-guerin.fr/
[iii] Ceux qui ont connus l’utilisation des biens communs par un troupeau de mouton « de village » garde en mémoire les difficultés journalières qui se réglaient « au consensus » lors regroupement matinal du troupeau : bêtes malades, introduction de nouvelles bêtes, lieux du pacage, du chômage, règlement des frais à engager, etc …
[iv] L’expérience du fonctionnement des coopérations villageoises montre que le principal levier du respect des règles repose sur un équilibre, plus ou moins implicite, des actes de coopération de voisinage et de leur enchaînement : on ne « rend » pas une journée de fauche à Noël ! OSTROM parle de « réputation ».
[v] L’article 17 de la déclaration universelle des droits de l’homme (10 décembre 1948) proclame que toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a le droit à la propriété. Ce qui n’a pas empêché le FMI et la Banque Mondiale d’exiger du Mexique la suppression de ses biens communs par voie de modification constitutionnelle à l’occasion d’un Plan d’Aménagement Structurel.