LA TRAGÉDIE DES BIENS COMMUNS

AVERTISSEMENT

Cette traduction de l’article d’Hardin provient d’un texte trouvé sur internet, sans nom de traducteur, et que j’ai personnellement révisé en fonction de mes connaissances du sujet et de mes préférences de la langue. Des liens sur le sujet en fin d’article (bernard garrigues)

La tragédie des biens communs

Par Garrett Hardin, 1968

Publié dans Science, le 13 décembre 1968

L'auteur est professeur de biologie, à l'Université de Californie, Santa Barbara. Cet article est basé sur une intervention présentée avant la réunion de la Division Pacifique de l'Association américaine pour l'avancement de la science à l'Université d'État d'Utah, Logan, le 25 juin 1968.

À la fin d'un solide article sur l'avenir de la guerre nucléaire, Wiesner et York (1) concluaient que : "les deux protagonistes de la course aux armements sont ... confrontés au dilemme d'augmenter régulièrement la puissance militaire et de diminuer régulièrement la sécurité nationale. Après mûre réflexion, notre jugement de spécialiste est que ce dilemme n'a pas de solutions techniques. Si les grandes puissances continuent à ne chercher des solutions que dans le domaine de la science et de la technologie, le résultat sera d'aggraver la situation."

Je voudrais attirer votre attention non sur le sujet de l'article (la sécurité nationale dans un monde nucléaire), mais sur le type de conclusion qu'ils en ont tirée, à savoir qu'il n'y a aucune solution technique au problème. Une prémisse implicite et presque universelle des discussions publiées dans les journaux scientifiques spécialisés ou de vulgarisation est que tout problème exposé a une solution technique. Une solution technique peut être définie comme une solution qui ne demande de changement que dans les techniques scientifiques, n'exigeant que peu ou pas de changement dans les valeurs humaines ou les idées morales.

Aujourd’hui (ce ne fut pas toujours le cas), les solutions techniques sont toujours bienvenues. À cause de précédentes prédictions erronées, il faut du courage pour affirmer l’impossibilité  d’une solution technique recherchée. Wiesner et York ont fait preuve de ce courage ; en la publiant dans une revue scientifique, ils ont insisté sur le fait que la solution du problème ne serait pas trouvée par la science. Ils ont prudemment qualifié leur déclaration par l'expression, "Après mûre réflexion, notre jugement de spécialiste est que...." Qu'ils aient vu juste ou pas n'est pas le sujet du présent article : le sujet est ici le concept important qu’il existe une classe des problèmes humains qui peuvent être nommés "problème sans solution technique," et, plus spécifiquement, l'identification et la discussion de l'un d'entre eux. Il est facile de montrer que cette classe n'est pas une classe vide.

Pensez au jeu de "morpion". Le problème : "Comment puis-je gagner au jeu de morpion ?" Il est évident que je ne le peux pas, si j'accepte (conformément aux conventions de la théorie des jeux) que mon adversaire le comprenne parfaitement. Présenté d'une autre façon, il n'y a aucune "solution technique" au problème. Je ne peux gagner qu'en donnant un sens radical au mot "gagner". Je peux assommer mon adversaire, ou le droguer, ou falsifier les résultats. Chaque voie pour que je "gagne" implique, en un sens ou un autre, un abandon du jeu : nous le comprenons intuitivement (je peux aussi, bien sûr, abandonner ouvertement le jeu - refuser d'y jouer. C'est ce que font la plupart des adultes).

La classe "Problèmes sans solutions techniques" se compose de cas. Ma thèse est que le "problème de la population," tel qu'il est conventionnellement conçu, est un cas de cette classe. Ces conventions nécessitent quelques commentaires. Nous pouvons dire que la plupart des personnes qui s'inquiètent du problème de la population essayent de trouver une façon d'éviter les maux de la surpopulation sans abandonner aucun des privilèges dont ils bénéficient. Ils pensent qu’exploiter les mers ou développer de nouvelles variétés de blé résoudrait le problème : par la technologie. Je voudrais montrer ici que ces solutions n’existent pas. Le problème de la population ne peut pas être résolu d'une façon technique, pas plus que le problème de gagner au morpion.

 

Que devons-nous maximiser ?

 

La population, comme l'a dit Malthus, a naturellement tendance à croître "géométriquement", ou, comme nous le dirions maintenant, exponentiellement. Dans un monde fini, cela signifie que la part individuelle aux biens mondiaux doit régulièrement décroître. Notre monde est-il fini ?

Nous pouvons défendre de bonne foi la vision que le monde est infini ; ou que nous ne savons pas s’il l’est. Mais, en terme de problèmes pratiques auxquels nous devons faire face dans les prochaines générations, avec la technique prévisible, il est clair que nous augmenterons énormément la misère humaine si nous n'admettons pas, pour l'avenir immédiat, que les ressources disponibles à la population humaine terrestre sont finies. "L'Espace" ne permet aucune échappatoire (2). Un monde fini ne peut supporter qu'une population finie ; donc, la croissance démographique doit, à terme, égaler zéro. (Le cas de larges fluctuations perpétuelles, au-dessus et au-dessous du zéro, est une variante triviale inutile à envisager.) Quand cette condition sera atteinte, quelle sera la situation de l'humanité ? Précisément, le but de Bentham du "plus grand bien pour le plus grand nombre" est-il réalisable ?

Non : pour deux raisons, chacune suffisante. La première est théorique. : il n'est mathématiquement pas possible de maximiser pour deux (ou plus) variables simultanément. Cela a été clairement établi par Von Neumann et Morgenstern (3), mais le principe est implicite dans la théorie des équations différentielles partielles, qui remonte au moins à d'Alembert (1717-1783).

La seconde raison découle directement de faits biologiques. Pour vivre, tout organisme doit avoir une source d'énergie (par exemple, la nourriture). Cette énergie est utilisée pour deux buts : la simple maintenance et le travail. Pour l'homme, le maintien de la vie exige environ 1600 kilocalories par jour ("calories/maintenance"). Tout ce qu'il fait en plus de simplement rester en vie sera défini comme du travail et supporté par des "calories /travail" qu'il consomme. Les calories/travail sont utilisées non seulement pour ce que nous appelons le travail dans le discours courant ; elles sont aussi nécessaires pour toutes les formes d'amusement, de la natation, de la course automobile, pour jouer de la musique et écrire de la poésie. Si notre but est de maximiser la population ce que nous devons faire est évident : nous devons consommer les calories travail par personne a minima, le plus près possible de zéro. Aucun repas de gourmet, aucune vacance, aucun sport, aucune musique, aucune littérature, aucun art ... Je pense que chacun admettra, sans argument ou preuve, que la maximisation de la population ne maximise pas les biens. Le but de Bentham est inaccessible.

Pour arriver à cette conclusion, j'ai fait la supposition habituelle que l'acquisition d'énergie pose problème. L'apparition de l'énergie atomique a conduit certains à remettre en cause cette supposition. Cependant, s'il existe une source infinie d'énergie, la croissance démographique produit toujours un problème inéluctable : le problème de l'acquisition d'énergie est remplacé par le problème de sa dissipation, comme J. H. Fremlin l'a élégamment montré(4). Les signes arithmétiques de l'analyse sont, en effet, inversés ; mais le but de Bentham reste toujours inaccessible.

La population optimale est, donc, inférieure au maximum. La difficulté pour définir l'optimum est énorme; pour autant que je sache, personne n'a sérieusement abordé ce problème. Le fait d'atteindre une solution acceptable et stable exigera sûrement plus d'une génération de durs travaux analytiques - et beaucoup de persuasion.

Nous voulons le maximum de bien par personne; mais quel est le bien ? Pour l'un c'est la nature sauvage, pour un autre ce sont des chalets de ski pour des milliers. Pour l'un ce sont des estuaires destinés à nourrir des canards afin que des chasseurs les tirent ; pour un autre, ce sont desterrains industriels. Comparer un bien avec un autre est, disons-nous habituellement, impossible parce que les biens sont incommensurables. Les valeurs incommensurables ne peuvent être comparées.

Théoriquement, peut être ; mais, dans la vie réelle, les valeurs incommensurables le sont. Seuls un critère de jugement et un système de pondération sont nécessaires. Dans la nature, le critère est la survie. Est-il meilleur pour une espèce d'être petite et discrète, ou grande et puissante ? La sélection naturelle compare les incommensurables. Le compromis atteint dépend du poids naturel de la valeur des variables.

L'homme doit imiter ce processus. Il n'y a aucun doute que, en fait, il le fait déjà, mais inconsciemment. C'est lorsque les choix implicites sont explicités que commence le débat. Le problème pour les années à venir est de concevoir une théorie acceptable de pondération. Les effets synergiques, la variation non linéaire et la difficulté à prévoir l’avenir rendent le problème théorique difficile, mais pas (en principe) insoluble.

Existe-t-il une civilisation, un pays qui ait résolu ce problème pratique actuellement, même intuitivement ? Un fait simple prouve qu’aucun ne l'a fait : il n'y a aucune population prospère dans le monde aujourd'hui qui a et ait eu pendant quelque temps, un taux de croissance nul. Tout peuple qui a intuitivement identifié son point optimal l'atteindra rapidement, après quoi son taux de croissance deviendra et restera nul.

Bien sûr, un taux de croissance positif pourrait prouver qu'une population est au-dessous de son optimum. Cependant, suivant tous les critères raisonnables, les populations qui croissent le plus rapidement sur la terre aujourd'hui sont (en général) les plus misérables. Une telle corrélation (qui n'a pas besoin d'être invariable) jette un doute sur la supposition optimiste que le taux de croissance positif d'une population prouverait qu'elle n'a pas encore atteint son optimum.

Nous ne pouvons faire que peu de progrès dans la recherche de la taille de population optimale tant que nous n'aurons pas exorcisé explicitement l'esprit d'Adam Smith dans le domaine de la démographie pratique. Dans le champ de l’économie, la Richesse des Nations (1776) a popularisé la "main invisible," l'idée qu'un individu qui "recherche seulement son gain propre," est, en apparence, "conduit par une main invisible à améliorer ... l'intérêt public" (5). Adam Smith ne l'affirme pas comme toujours vrai et aucun de ses disciples ne l'a peut-être fait. Mais il a contribué à une tendance de la pensée dominante qui a toujours depuis formaté l'action positive basée sur l'analyse rationnelle ; à savoir, la tendance à postuler que les décisions prises individuellement seront, en pratique, les meilleures décisions pour une société entière. Si ce postulat est correct, il justifie la continuation de notre politique actuelle de laissez-faire la reproduction. S'il est correct, nous pouvons admettre que les hommes contrôleront leur fécondité individuelle afin de produire la population optimale. Si le postulat n'est pas correct, nous devons réexaminer nos libertés individuelles pour voir lesquelles sont défendables.

 

La tragédie de la liberté d’utiliser un bien commun

 

La réfutation de la main invisible afin de contrôler le niveau de la population peut être trouvée dans un scénario d'abord esquissé dans une brochure peu connue (6) de 1833 d’un mathématicien amateur nommé William Forster Lloyd (1794-1852). Nous l'appellerons "la tragédie des biens communs" en utilisant le mot "tragédie" comme le philosophe Whitehead (7) : "L'essence de la tragédie dramatique n'est pas le malheur. Elle réside dans la solennité du déroulement fatal des choses." Il continue alors, "Cette fatalité ne peut être illustrée en matière de vie humaine que par des incidents impliquant en fait le malheur. Car c'est seulement par elle que le peu de chance d'échapper au destin rend évident le drame."

La tragédie des biens communs se présente ainsi. Imaginez un pâturage ouvert à tous. On doit s'attendre à ce que chaque éleveur essaie de mettre autant de bétail que possible sur le terrain commun. Un tel arrangement peut fonctionner d'une manière raisonnablement satisfaisante pendant des siècles parce que les guerres tribales, le braconnage et la maladie maintiennent lenombre tant des hommes que des bêtes bien au-dessous de la capacité de support de la terre. Finalement, cependant, vient le jour du jugement, c'est-à-dire le jour où le but longtemps désiré de la stabilité sociale devient une réalité. À ce point, la logique inhérente des biens communs génère implacablement la tragédie.

En tant qu'être rationnel, chaque éleveur cherche à maximiser son gain. Explicitement ou implicitement, plus ou moins consciemment, il se demande "quelle est l'utilité pour moi d'ajouter une bête de plus à mon troupeau ?" Cette utilité a une composante négative et une composante positive.

1.        La composante positive est fonction de l'incrément d'une bête. Puisque l'éleveur reçoit tous les revenus de la vente de l'animal additionnel, l'utilité positive est presque +1.

2.        La composante négative est fonction du surpâturage additionnel provoqué par la bête supplémentaire. Mais, comme les effets du surpâturage sont partagés par tous les éleveurs, l'utilité négative pour chaque éleveur qui prend une décision est seulement une fraction de -1.

En ajoutant les utilités partielles individuelles, l'éleveur rationnel conclut que la seule voie sensée qu'il peut suivre est d'ajouter une autre bête à son troupeau. Et une autre; et une autre.... Mais ceci est la conclusion atteinte par chaque berger rationnel partageant un terrain commun. C'est là que réside la tragédie. Chaque homme est enfermé dans un système qui le contraint à augmenter son troupeau sans limites sur un bien limité. La ruine est la destination vers laquelle tous les hommes se ruent, chacun à la poursuite de son propre meilleur intérêt dans une société qui croit en la liberté des biens communs. La liberté dans les biens communs apporte la ruine à tous.

Certains diraient qu’il s’agit d’une banalité. Si seulement il en était ainsi ! En un sens, nous l’avons appris, il y a des milliers d'années, mais la sélection naturelle favorise les forces du déni (8) psychologique. L'individu profite en tant qu'individu de sa capacité à nier la vérité même si, dans son ensemble, la société dont il fait partie en souffre.

L'éducation peut contrebalancer la tendance naturelle à faire le mauvais choix, mais la succession inexorable des générations exigerait que la base de cette connaissance soit constamment rafraîchie.

Un incident simple arrivé, il y a quelques années, à Leominster, Massachusetts, montre combien la connaissance est périssable. Pendant la saison des courses de Noël les parcmètres du centre-ville ont été couverts de sacs en plastique rouges qui portaient la mention : "A n'ouvrir qu'après Noël. Stationnement gratuit offert par le maire et le conseil municipal." Autrement dit, faisant face à la perspective d'une demande accrue d'un espace déjà rare, les édiles rétablissent le système des biens communs. (Cyniquement, nous soupçonnons qu'ils y ont gagné plus de votes qu'ils n'en ont perdus par cet acte rétrograde.)

De façon approximative, la logique des biens communs est comprise depuis longtemps, peut-être depuis la découverte de l'agriculture ou l'invention de la propriété privée immobilière. Mais surtout compris que dans des cas particuliers pas suffisamment généralisés. Même à notre époque, les éleveurs qui louent des terrains nationaux dans l'ouest des États-Unis n'en montrent guère plus qu'une compréhension ambivalente, en faisant constamment pression sur les autorités fédérales afin d’augmenter le nombre de têtes jusqu'au point où le surpâturage produit érosion et prépondérance des mauvaises herbes. De la même façon, les océans du monde continuent à souffrir de la survivance de la logique des biens communs. Les nations maritimes proclament automatiquement la doctrine de la « liberté des mers ». Feignant de croire aux "ressources inépuisables des océans," elles mènent, espèce après espèce de poisson et de baleine, aux limites de l'extinction (9).

Les Parcs nationaux présentent un autre exemple du fonctionnement de la tragédie des biens communs. À présent, ils sont ouverts à tous, sans limites. Les parcs présentent une étendue limitée - il n'y a qu'une Yosémite Valley - alors que la population semble croître sans limites. Les valeurs que les visiteurs recherchent dans les parcs disparaissent. Clairement, nous devrons bientôt cesser de traiter les parcs comme des biens communs ou ils n'auront plus aucune valeur pour personne.

Que devons-nous faire ? Nous avons plusieurs options. Nous pourrions les vendre comme propriété privée. Nous pourrions les conserver comme propriété publique, mais autoriser le droit d'y entrer. L'allocation pourrait être basée sur la richesse, par l'utilisation d'un système de vente aux enchères. Elle pourrait être basée sur le mérite, défini à partir de critères reconnus. Elle pourrait être basée sur une loterie. Ou elle pourrait être sur une base premier arrivé, premier servi, administrée par de longues files d'attente. Elles sont toutes, je le pense, des possibilités raisonnables. Elles sont toutes discutables. Mais nous devons choisir - ou consentir à la destruction des biens communs que nous appelons nos parcs nationaux.

 

Pollution

 

D'une façon inverse, la tragédie des biens communs réapparaît dans les problèmes de pollution. Ici, il ne s’agit pas d'extraire quelque chose des biens communs, mais d'y rejeter quelque chose - des eaux usées, ou des déchets chimiques, radioactifs et chauds dans l'eau; des émanations nocives et dangereuses dans l'air et des panneaux publicitaires gênants et désagréables à la vue publique. Les calculs d'utilité sont presque les mêmes qu'auparavant. L'homme rationnel constate que sa part du coût de traitement des déchets qu'il déverse dans les biens communs est moindre que le coût d'épurer ses déchets avant de s'en débarrasser. Comme c'est vrai pour chacun, nous sommes enfermés dans un système de "souiller notre propre nid," tant que nous nous comporterons seulement comme libres entreprises indépendantes et rationnelles.

La tragédie des biens communs comme lieux d’approvisionnement est évitée par la propriété privée, ou quelque chose de formellement équivalent. Mais l'air et les eaux qui nous entourent ne peuvent pas être aisément enclos et ainsi la tragédie des biens communs comme fosse d'aisance doit être interdite par des moyens différents, par des lois coercitives ou des dispositifs fiscaux qui rendent plus économique pour le pollueur de traiter ses polluants que de les décharger non traités. Nous n'avons pas progressé aussi loin dans la résolution de ce problème que dans celle du premier. En fait, notre concept particulier de propriété privée, qui nous dissuade d'épuiser les ressources positives de la terre, favorise la pollution. Le propriétaire d'une usine sur la berge d'une rivière - dont la propriété s'étend jusqu'au milieu de la rivière, a souvent du mal à voir pourquoi ce n'est pas son droit naturel de troubler les eaux qui coulent devant sa porte. La loi, toujours en retard sur l'époque, nécessite des adaptations complexes pour prendre en compte ce nouvel aspect des biens communs.

Le problème de la pollution est une conséquence de la population. La façon dont un pionnier américain solitaire disposait de ses déchets n'avait que peu d'importance. "L'eau courante s'épure tous les 15 kilomètres," avait l'habitude de dire mon grand-père et le mythe était suffisamment près de la réalité quand il était un enfant, car il n'y avait pas trop de monde. Mais quand la population est devenue plus dense, les processus naturels de recyclage chimique et biologique sont devenus surchargés, exigeant une redéfinition du droit de propriété.

 

Comment règlementer la sobriété ?

 

L'analyse du problème de la pollution en fonction de la densité de population met en évidence un principe moral généralement pas reconnu : la moralité d'un acte est fonction de l'état du système au moment où il est commis (10). Utiliser les biens communs comme une fosse d'aisance ne nuit pas à la population dans les conditions de la conquête de l'Ouest : il n'y a pas de population ; le même comportement dans une métropole est insupportable. Il y a cent cinquante ans, un habitant de la plaine pouvait tuer un bison d'Amérique, couper seulement la langue pour son dîner et abandonner le reste de l'animal. Il n'était pas un gaspilleur évident. Aujourd'hui, avec seulement les quelques milliers de bisons qui restent, nous serions épouvantés par un tel comportement.

En passant, notons que la moralité d'un acte ne peut être déterminée à partir d'une photographie. Nous ignorons si un homme qui tue un éléphant ou met le feu à la prairie nuit à d'autres à moins de connaître le système total dans lequel il commet son acte. "Un dessin vaut mieux qu'un long discours," a dit un chinois de l'antiquité ; mais celapeut demander dix discours afin de le valider. Il est aussi tentant pour les écologistes que pour les réformateurs en général d'essayer de persuader les autres par un raccourci photographique. Mais l'essence d'un argument ne peut être photographiée : elle doit être présentée rationnellement, par des mots.

Le fait que la moralité est sensible au système a échappé à l'attention de la plupart des codificateurs moraux dans le passé. "Tu ne dois pas ..." est la forme des directives morales traditionnelles qui ne tiennent aucun compte des circonstances particulières. Les lois de notre société suivent le modèle de la morale antique et conviennent donc mal au gouvernement d'un monde complexe, surpeuplé et mouvant. Notre solution épicyclique est de compléter le droit légal par le droit administratif. Puisqu'il est pratiquement impossible d'énoncer clairement toutes les conditions sous lesquelles il est acceptable de brûler des ordures dans l'arrière-cour ou de conduire une voiture sans contrôle de pollution, nous déléguons, par la loi, les détails aux administrations. Le résultat est le droit administratif, qui est justement craint pour une raison antique - Quis custodiet ipsos custodes ? "Qui gardera les gardiens eux-mêmes ?" John Adams a dit que nous devons avoir un état de droit et non d'hommes. Les responsables d'administration, en essayant d'évaluer la moralité d'actes dans le système total, sont singulièrement susceptibles de corruption, produisant un gouvernement d'hommes, non de lois.

L’interdiction est facile à décréter  (quoique pas nécessairement facile à appliquer);  mais comment légiférer la modération ? L'expérience montre que cela est plus facile par la médiation du droit administratif. Nous limitons inutilement les possibilités si nous supposons que le sentiment de Quis custodiet nous dénie l'utilisation du droit administratif. Nous devrions plutôt conserver l'expression comme un rappel perpétuel des dangers que nous ne pouvons pas éviter. Le grand défi auquel nous faisons maintenant face est d'inventer les rétroactions correctives qui sont nécessaires pour que les gardiens restent honnêtes. Nous devons trouver des moyens de légitimer l'autorité nécessaire tant des gardiens que des rétroactions correctives.

 

La liberté de se multiplier est intolérable

 

La tragédie des biens communs pèse dans les problèmes de population d'une autre façon. Dans un monde dirigé seulement par le principe de la "loi de la jungle" - si toutefois un tel monde n’existe jamais - le nombre d'enfants d’une famille ne serait pas un sujet d'intérêt public. Les parents qui se multiplient de façon trop exubérante laisseraient moins de descendants, et non plus, parce qu'ils seraient incapables de s'occuper correctement de leurs enfants. David Lack et autres ont constaté qu'une telle rétroaction négative contrôle effectivement la fécondité des oiseaux (11). Mais les hommes ne sont pas des oiseaux et n'ont pas eu le même comportement depuis des millénaires, au moins.

Si chaque famille humaine ne dépendait que de ses propres ressources; si les enfants de parents imprévoyants mouraient de faim; si, donc, la reproduction excessive apportait sa propre "punition" à la lignée génétique - alors il n'y aurait aucun intérêt public à contrôler la reproduction des familles. Mais notre société est profondément engagée vers l'État providence (12) et donc confrontée à un autre aspect de la tragédie des biens communs.

Dans l’État providence, comment prendrons-nous en compte la famille, la religion, la race, ou la classe (ou en fait tout groupe distinguable et cohérent) qui adopte la sur-reproduction comme moyen d'assurer son propre accroissement (13) ? Coupler le concept de liberté de se multiplier avec la croyance que chacun a par sa naissance un droit égal aux biens communs enferme le monde dans une ligne de conduite tragique.

Malheureusement, c'est exactement la ligne de conduite que poursuivent les Nations unies. Fin 1967, environ 30 nations se sont mises d'accord sur ce qui suit (14) :

La Déclaration Universelle de Droits de l'Homme décrit la famille comme l'unité naturelle et fondamentale de la société. Il s'ensuit que tous les choix et décisions qui concernent la taille de la famille doivent irrévocablement relever de la famille elle-même et ne peuvent être pris par qui que soit d'autre.

Il est douloureux de devoir nier catégoriquement la validité de ce droit ; en le niant, nous nous sentons aussi mal qu'un habitant de Salem, Massachusetts, qui niait la réalité des sorcières au 17ème siècle. Actuellement, dans le monde libéral, quelque chose comme un tabou agit afin d’interdire la critique des Nations Unies. Existe un consensus que les Nations unies sont "notre dernier et meilleur espoir," que nous ne devrions pas le critiquer ; ne pas faire le jeu des archiconservateurs. Cependant, n'oublions pas ce que disait Robert Louis Stevenson : "la vérité qui est supprimée par des amis est l'arme la plus immédiate de l'ennemi." Si nous aimons la vérité; nous devons ouvertement nier la validité de la Déclaration Universelle de Droits de l'Homme, même si elle est promue par les Nations Unies. Nous devrions aussi rejoindre Kingsley Davis (15) dans la tentative de montrer au Planning Familial l'erreur commise en suivant le même idéal tragique.

 

La conscience est autoéliminatrice

 

C'est une erreur de penser que nous pouvons contrôler à long terme la multiplication de l'humanité par un appel à la conscience. Charles Galton Darwin l'a souligné dans son discours pour le centenaire de la publication du fameux livre de son grand-père. Argument direct et darwinien.

Les gens varient. Confrontées à des appels à limiter la reproduction, certaines personnes répondront sans aucun doute plus que d'autres à l'appel. Ceux qui ont plus d'enfants produiront une plus grande fraction de la génération suivante que ceux avec des consciences plus sensibles. La différence sera accentuée, génération après génération.

Pour reprendre les mots de C. G. Darwin : "il se peut fort bien qu'il faille des centaines de générations pour que l'instinct procréatif se développe de cette façon, mais s'il le faisait, la nature aurait pris sa revanche et la variété Homo contracipiens s'éteindrait et serait remplacée par la variété Homo progenitivus" (16).

L'argument suppose que la conscience ou le désir d'enfants (peu importe lequel) est héréditaire - mais héréditaire seulement dans le sens formel le plus général. Le résultat sera le même que l'attitude soit transmise par les gamètes, ou de façon exosomatique, pour utiliser l'expression de A. J. Lotka (si nous nions la seconde possibilité comme la première, à quoi sert l'éducation ?). L'argument a été exposé ici dans le contexte du problème de la population, mais il s'applique aussi bien à n'importe quel cas dans lequel la société demande à un individu exploitant des biens communs de se restreindre pour le bien général - en faisant appel à sa conscience. Faire une telle demande revient à mettre en place un système sélectif qui travaille à l'élimination de la conscience.

 

Les effets pathogènes de la conscience

 

L'inconvénient à long terme d'un appel à la conscience devrait être suffisant pour le condamner; mais il a aussi de sérieux inconvénients à court terme. Si nous demandons à un homme qui exploite un bien commun d'y renoncer "au nom de la conscience," que lui disons-nous ? Qu'entend-il ? - non seulement, sur le moment, mais aussi dans les petites heures de la nuit où, à demi endormi, il se rappelle non seulement les mots que nous avons utilisés, mais aussi les signaux de communication non verbale que nous lui avons involontairement donnés ? Tôt ou tard, consciemment ou inconsciemment, il sent qu'il a reçu deux communications et qu'elles sont contradictoires : (1) (communication explicite) "Si vous ne faites pas comme nous le demandons, nous vous condamnerons ouvertement pour ne pas agir en citoyen responsable"; (2) (communication implicite) "Si vous vous comportez vraiment comme nous le demandons, nous vous condamnerons secrètement comme étant un nigaud qu'on peut convaincre par la honte de se priver pendant que nous autres exploitons les communaux."

L'homme de la rue est alors pris dans ce que Bateson appelle "une double contrainte." Bateson et ses collaborateurs ont montré de façon plausible que la double contrainte est un facteur causal important dans la genèse de la schizophrénie (17). La double contrainte peut ne pas être toujours aussi destructrice, mais elle met toujours en danger la santé mentale dequelqu'un à qui elle est appliquée. "Une mauvaise conscience," disait Nietzsche, "est une sorte de maladie."

Jouer de la conscience chez d'autres est tentant pour quelqu'un qui souhaite étendre son contrôle au-delà des limites légales. Les dirigeants au plus haut niveau succombent à cette tentation. Y a-t-il un Président pendant la génération passée qui n'ait pas invité les syndicats à modérer volontairement leurs demandes d'augmentation des salaires, ou les sociétés métallurgiques à honorer des directives volontaires sur les prix ? Je ne puis me souvenir d’aucun. La rhétorique utilisée dans de telles occasions est conçue pour produire des sentiments de culpabilité chez les non-coopérateurs.

Pendant des siècles, nous avons accepté sans preuve que la culpabilité était un ingrédient de la valeur, peut-être même indispensable, de la vie civilisée. Maintenant, dans ce monde postfreudien, nous en doutons.

Paul Goodman expose une idée moderne lorsqu'il écrit : "Aucun bien n'est jamais venu de se sentir coupable, ni compréhension, ni politesse, ni compassion. Les coupables ne prêtent pas attention à l'objet, mais seulement à eux-mêmes, et même pas à leurs propres intérêts, ce qui pourrait avoir un sens, mais à leurs angoisses" (18).

Il n'est nul besoin d'être psychiatre pour voir les conséquences de l'anxiété. Nous, dans le monde occidental, émergeons à peine de deux siècles terrifiants d'un Moyen-Âge d'Éros qui s'est maintenu en partie par des lois de prohibition, mais peut-être plus efficacement par des mécanismes d'éducation anxiogènes. Alex Comfort en a très bien raconté l'histoire Les Fabricants d'Anxiété (19) ; elle n'est pas jolie.

Puisque la preuve est difficile, nous admettrons que les résultats de l'anxiété peuvent parfois, de certains points de vue, être désirables. La question essentielle que nous devrions poser est si, par principe, il ne faut jamais encourager l'utilisation d'une technique dont la tendance (si non l'intention) est psychologiquement pathogène. Nous entendons beaucoup de discours ces temps-ci sur les parents responsables ; les mots sont associés dans les titres de certaines organisations consacrées au contrôle des naissances. Certaines personnes ont proposé des campagnes de propagande massives pour instiller le sens des responsabilités chez les parents du pays (ou du monde). Mais quel est le sens du mot responsabilité dans ce contexte ? N'est-ce pas simplement un synonyme du mot conscience ? Quand nous utilisons le mot responsabilité en l'absence de sanctions substantielles n'essayons-nous pas d'intimider un homme libre dans des biens communs pour qu'il agisse contre son propre intérêt ? Responsabilité est une contrefaçon verbale d'un quiproquo radical. C'est une tentative d'obtenir quelque chose pour rien.

Si le mot responsabilité doit être utilisé, je suggère que ce soit dans le sens où Charles Frankel l'emploie (20). "La responsabilité", dit ce philosophe, "est le produit de dispositions sociales définies." Remarquez que Frankel se réclame des dispositions sociales, pas de propagande.

 

Contrainte consensuelle

 

Les dispositions sociales qui produisent la responsabilité sont les dispositions qui créent une contrainte, d'une forme ou d’une autre. Considérez le cambriolage d’une banque. L'homme qui vole l'argent d'une banque agit comme si la banque était un bien commun. Comment empêchons-nous une telle action ? Certainement pas en essayant de contrôler son comportement seulement par un appel verbal à son sens des responsabilités. Plutôt que de compter sur la propagande, nous suivons Frankel et insistons sur le fait qu'une banque n'est pas un bien commun ; nous recherchons les dispositions sociales définies qui l'empêcheront de devenir un bien commun. Que par là nous empiétions sur la liberté des voleurs potentiels, nous ne ni le nions, ni le regrettons.

La moralité du cambriolage de banque est particulièrement facile à comprendre parce que nous acceptons l’interdiction complète de cette activité. Nous désirons dire "Tu ne cambrioleras pas de banques", sans prévoir des exceptions. Mais la sobriété peut aussi être créée par la contrainte. La taxation est un bon dispositif coercitif. Pour que les chalands ducentre-ville limitent leur utilisation de l'espace de stationnement, nous introduisons des parcmètres pour les courtes durées et des amendes pour les plus longues. Nous n'avons pas besoin d'interdire réellement à un citoyen de se garer aussi longtemps qu'il le veut ; nous avons simplement besoin que ce soit de plus en plus cher pour lui de le faire. Ce que nous lui offrons est non un interdit, mais des options soigneusement calculées. On pourrait appeler cela persuasion ; je préfère la plus grande sincérité du mot contrainte.

Contrainte est un mot maintenant sale pour la plupart des libéraux, mais il n'est pas obligatoire qu'il en soit toujours ainsi. Comme avec les mots grossiers, on peut épurer sa saleté par l'exposition à la lumière, en le répétant encore et encore, sans excuses ou embarras. Pour beaucoup, le mot contrainte implique les décisions arbitraires de bureaucrates éloignés et irresponsables ; mais cela ne fait pas nécessairement partie de sa signification. La seule sorte de contrainte que je recommande est la contrainte mutuelle, convenue ensemble par la majorité des gens affectés.

Dire que nous convenons mutuellement d'une contrainte ne veut pas dire qu'on nous demande de l'aimer, ou même de faire semblant de l'aimer. Qui aime les impôts ? Nous grognons tous sur eux. Mais nous acceptons les impôts obligatoires parce que nous reconnaissons que des impôts volontaires favoriseraient les profiteurs. Nous instituons et supportons (en grognant) les impôts et d'autres dispositifs coercitifs pour échapper à l'horreur des biens communs.

Une alternative aux biens communs n'a pas besoin d'être parfaitement juste pour être préférable. Avec l'immobilier et les autres biens matériels, l'alternative que nous avons choisie est l'institution de la propriété privée couplée avec la succession légale. Ce système est-il parfaitement juste ? En tant que biologiste formé à la génétique, je nie qu'il le soit. Il me semble que, s'il doit y avoir des différences dans les héritages individuels, la propriété légale devrait être parfaitement corrélée avec l'héritage biologique - que ceux qui sont biologiquement plus adaptés pour être les gardiens de la propriété et du pouvoir devraient légalement hériter plus. Mais la recombinaison génétique se moque continuellement de la doctrine "tel père, tel fils" implicite dans nos lois d'héritage légal. Un idiot peut hériter de millions et un fonds fiduciaire peut maintenir sa propriété intacte. Nous devons admettre que notre système légal de propriété privée, plus héritage, est injuste, mais nous le supportons parce que nous ne sommes pas convaincus, à l'heure actuelle, que qui que ce soit ait inventé un meilleur système. L'alternative des biens communs est trop horrible à envisager. L'injustice est préférable à la ruine totale.

C'est une des particularités de la guerre entre la réforme et le statu quo qu'elle est inconsidérément dirigée par deux poids et deux mesures. Chaque fois que l'on propose une mesure de réforme, elle est souvent défaite quand ses adversaires y découvrent triomphalement un défaut. Comme Kingsley Davis l'a souligné (21), les adorateurs du statu quo soutiennent parfois qu'aucune réforme n'est possible sans accord unanime, raisonnement contraire aux faits historiques. Pour autant que je puisse le discerner, le rejet automatique des réformes proposées est basé sur l'une des deux suppositions inconscientes : (1) que le statu quo est parfait; ou (2) que le choix auquel nous faisons face est entre la réforme et aucune action; si la réforme proposée est imparfaite, nous devrions, semble-t-il, ne faire aucune action, en attendant une proposition parfaite.

Mais nous ne pouvons jamais ne rien faire. Ce que nous avons fait depuis des milliers d'années est aussi une action. Elle produit aussi des maux. Une fois que nous sommes conscients que le statu quo est une action, nous pouvons alors comparer ses avantages et inconvénients observables avec les avantages et inconvénients prévus de la réforme proposée, en prenant au mieux en compte notre manque d'expérience. Sur la base d'une telle comparaison, nous pouvons prendre une décision rationnelle qui n'impliquera pas la supposition impraticable que seuls des systèmes parfaits sont tolérables.

 

Reconnaissance de la nécessité

 

Le résumé le plus simple de cette analyse des problèmes de la population humaine pourrait être le suivant : les biens communs, s’ils sont justifiables, ne le sont que dans desconditions de basse densité de population. Quand la population humaine a augmenté, les biens communs ont dû être abandonnés l’un après l'autre. Nous avons d'abord abandonné les biens communs dans la cueillette de nourriture, en clôturant la terre agricole et en limitant le pâturage et les zones de chasse et de pêche. Ces restrictions ne sont toujours pas totales dans le monde entier.

Un peu plus tard nous avons vu que les biens communs comme lieu de décharge d'ordures devraient aussi être abandonnés. Les restrictions sur la décharge des ordures ménagères sont largement acceptées dans le monde occidental ; nous luttons toujours pour interdire la pollution des biens communs par les automobiles, les usines, des pulvérisations d'insecticide, les opérations de fertilisation et les installations d'énergie atomique.

Notre identification de l’utilisation de biens communs en ce qu’ils concernent  les agréments de la vie reste dans un état encore plus embryonnaire. Il n'y a presque aucune restriction sur la propagation d'ondes sonores dans le milieu public. Les chalands sont assaillis par de la musique stupide, sans leur consentement. Notre gouvernement dépense des milliards de dollars pour créer un transport supersonique qui dérangera 50 000 personnes par personne déplacée gagnant 3 heures sur la durée de leur parcours. Les publicitaires polluent les ondes de la radio, la télévision et la vue des voyageurs. Il nous faudra beaucoup de temps afin de mettre hors la loi l’abus des biens communs portant atteinte aux plaisirs individuels. Est-ce parce que notre héritage puritain nous fait voir le plaisir comme une sorte de péché et la douleur (c'est-à-dire la pollution par la publicité) comme un signe de vertu ?

Chaque nouvelle suppression de biens communs implique une atteinte à la liberté individuelle de quelqu'un. Les atteintes faites dans le passé sont acceptables parce qu'aucun contemporain ne se plaint d'une perte. Ce sont les atteintes nouvelles auxquelles nous nous opposons vigoureusement ; les cris de "droits" et de "liberté" emplissent les airs. Mais que signifie "liberté" ? Quand les hommes consentent, ensemble, à édicter des lois contre le vol, l'humanité devient plus libre, pas moins. Les individus enfermés dans la logique des biens communs ne sont libres que d'apporter la ruine universelle; une fois qu'ils acceptent la nécessité de la contrainte mutuelle, ils deviennent libres de poursuivre d'autres buts. Hegel disait, je crois, "la Liberté est la reconnaissance de la nécessité."

Le plus important que nous devons maintenant admettre est la nécessité d'abandonner la logique des biens communs en ce qui concerne notre droit à  procréation. Aucune solution technique ne peut nous sauver de la misère de la surpopulation. La liberté de se multiplier nous ruinera tous. À l'heure actuelle, pour éviter des décisions difficiles beaucoup d'entre nous sont tentés de faire de la propagande pour la conscience et la responsabilité des parents. Il faut résister à cette tentation, parce qu'un appel aux consciences agissant indépendamment sélectionne la disparition à long terme de toute conscience et à court terme une augmentation de l'anxiété.

La seule voie pour préserver, protéger et développer les autres et plus précieuses libertés est d'abandonner la liberté de se multiplier et cela rapidement. "La Liberté est la reconnaissance de la nécessité" - et c'est le rôle de l'éducation de révéler à tous la nécessité d'abandonner la liberté de se multiplier. Ce n'est qu'ainsi, que nous pouvons mettre fin à cet aspect de la tragédie des biens communs.

 

RÉFÉRENCES

 

1.         J. B. Wiesner and H. F. York, Sci. Amer. 211 (No. 4). 27 (1964).

2.                    G. Hardin, J. Hered. 50, 68 (1959); S. von Hoernor, Science 137, 18 (1962).

3.        J. von Neumann and O. Morgenstern, Theory of Games and Economic Behavior (Princeton Univ. Press, Princeton, N.J., 1947), p. 11.

4.        . H. Fremlin. New Sci., No. 415 (1964), p. 285.

5.        A. Smith, The Wealth of Nations (Modern Library, New York, 1937), p. 423.

6.        W. F. Lloyd, Two Lectures on the Checks to Population (Oxford Univ. Press, Oxford, England, 1833), reprinted (in part) in Population, Evolution, and Birth Control, G. Hardin. Ed. (Freeman, San Francisco, 1964), p. 37.

7.                    A. N. Whitehead, Science and the Modern World (Mentor, New York, 1948), p. 17.

8.                    G. Hardin, Ed. Population, Evolution. and Birth Control (Freeman, San Francisco, 1964). p. 56.

9.        S. McVay, Sci. Amer. 216 (No. 8), 13 (1966).

10.      J. Fletcher, Situation Ethics (Westminster, Philadelphia, 1966).

11.       D. Lack, The Natural Regulation of Animal Numbers (Clarendon Press, Oxford, 1954).

12.      H. Girvetz, From Wealth to Welfare (Stanford Univ. Press. Stanford, Calif., 1950).

13.      G. Hardin, Perspec. Biol. Med. 6, 366 (1963).

14.      U. Thant, Int. Planned Parenthood News, No.168 (February 1968), p. 3.

15.      K. Davis, Science 158, 730 (1967).

16.      S. Tax, Ed., Evolution after Darwin (Univ. of Chicago Press, Chicago, 1960), vol. 2, p. 469.

17.      G. Bateson, D. D. Jackson, J. Haley, J. Weakland, Behav. Sci. 1. 251 (1956).

18.      P. Goodman, New York Rev. Books 10(8), 22 (23 May 1968).

19.      A. Comfort, The Anxiety Makers (Nelson, London, 1967).

20.      C. Frankel, The Case for Modern Man (Harper, New York, 1955), p. 203.

21.      J. D. Roslansky, Genetics and the Future of Man (Appleton-Century-Crofts, New York, 1966). p. 177.

 

1/ Fabien LOCHER

 

http://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2013-1-page-7.htm

 

2/ Traduction (qui ne me satisfait pas) dans une revue de presse SES-INFO-FR :

 

http://ses-info.fr/spip.php?article2279

 

3/ L’article de HARDIN :

 

http://www.garretthardinsociety.org/articles_pdf/tragedy_of_the_commons.pdf

 

 

 

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