POUR UNE NOUVELLE THÉORIE DES COMMUNS Chapitre 8

Ce chapitre présente les conclusions de l'essai.

VIII CONCLUSIONS

01/ Préconceptions de chercheur et acteur de communs

02/ Règles à maintenir par les communers

03/ Préconisations :

03.1 Organiser la relation avec les pouvoirs politique et administratif locaux.

03.2 Achever le modèle socioéconomique.

03.3 Faire fonctionner les communs avec le système financier général.

03.4 Penser les communs comme objet juridique civil de droit commun.

03.5 Tout commun établit une entreprise de droit commun.

03.6 Défendre et régulariser les communs traditionnels.

03.7 Créer les communs modernes.

VIII CONCLUSIONS

Qui oserait dire que ce que nous avons détruit valait cent fois mieux que ce que nous avons rêvé et transfiguré sans relâche en murmurant aux ruines ?(René CHAR)

À l’heure des conclusions apparaît la difficulté de l’exercice devant un objet d’une extrême complexité. La communauté scientifique accepte qu’un commun traditionnel aujourd’hui soit le bilan de son histoire singulière depuis la nuit des temps ; Ostrom, par ses travaux, montre que l’ensemble de ces histoires singulières reposent sur des lignes de force générale à l’histoire des hommes sur terre du Japon à l’Andalousie, de la Suisse au Sri Lanka et aux Philippines, des pêcheries canadiennes aux prud’homies méditerranéennes ; lignes de force que l’histoire, récente, des aquifères californiens confirment. Je propose : (1) énoncer les préconceptions (robustes) issues de 25 ans de travaux ardus ; (2) exposer les règles découvertes par mes prédécesseurs et de ma longue expérience de communer ; (3) puis les préconisations qui découlent de mes travaux

01/ Préconceptions de chercheur et d’acteur de communs.

Depuis très longtemps (onze lustres !), je suis membre de communs en y participant activement sans en comprendre la logique qui défiait ma culture native, formatée par la doxa de la gauche progressiste et mes préconceptions personnelles. Au fur et à mesure de l’avancement de mes travaux, ces préconceptions sombrèrent ; je livre celles qui émergèrent, robustes.

Préconception 1 : Nous obtiendrons une connaissance de la réalité des communs en croisant le point de vue des acteurs avec celui des chercheurs ; puis, en réussissant une représentation cohérente de ces points de vue.

Préconception 2 : Les Biens des Communautés Villageoises traditionnels, résidus non appropriés du finage original, sont une manière d’être séculaire, non-violente, paisible et bienveillante, d’une communauté économique humaine afin de vivre au mieux de son environnement naturel et de l’incertitude.

Préconception 3 : Un commun n’existe que gouverné par lui-même.

Préconception 4 : L’état de l’art aujourd’hui sur les communs consiste à théoriser, avec l’aide des grands anciens, trente siècles de pratiques de biens communs et de morales locales.

Préconception 5 : Un commun est un contrepouvoir économique local en face des pouvoirs politique et administratif locaux.

Préconception 6 : Quel que soit le point de vue adopté sur le modèle socioéconomique des communs se dégage son inachèvement actuel en France ; cependant ils contiennent en eux-mêmes les ressources humaines de leur efficacité, voire de leur perfection en temps réel.

Préconception 7 : Les communs sont objet juridique civil de droit commun.

Préconception 8 : Les communs doivent faire avec le système financier général.

Préconception 9 : Les communs doivent mettre en place une relation symétrique équilibrée avec les pouvoirs politique et administratif locaux.

02/ Règles à maintenir par les communers.

Conclure en listant les règles à maintenir par les communers est un moyen de bonne opérationnalité générale d’entreprise humaine. Ostrom apporte les fondamentales ; Honoré définit exhaustivement le faisceau de droits ; je m’arroge le droit en tant que communer-géographe d’apporter des règles pratiques, empiriques, puis de reformaliser les règles d’Ostrom : j’ai conservé le terme d’« appropriateur » du traducteur, cependant, je préfère le terme de « membre » de la loi du 27 mai 2013. Je renvoie aux auteurs pour précisions : ils écrivent leurs pensées mieux que je ne saurai le faire !

Règles découvertes, puis établies par Ostrom (Gouvernance des biens communs, chapitre 3, tableau 3.1) :

(01) Limites strictes des appropriateurs et des ressources ;

(02) Cohérence entre les règles et l’environnement local du commun singulier ;

(03) Participation de tous les appropriateurs à l’établissement et à la maintenance des règles opérationnelles ;

(04) Surveillance du respect des règles par ses appropriateurs ;

(05) Sanctions graduelles ;

(06) Mécanismes de résolution des conflits ;

(07) Autonomie absolue de gouvernance du commun par ses appropriateurs ;

(08) Des entreprises imbriquées pour un commun.

Règle issue des travaux d’Anthony M. Honoré (Ownership 1961) : Tableau 3

(09) Disposer de la totalité du faisceau de droits ;

Règles issues de constats empiriques :

(10) Un territoire de proche voisinage géographique entre appropriateurs ;

(11) Partage équitable entre appropriateurs de la valeur créée ;

(12) Une comptabilité vertueuse du commun et de chacun de ses appropriateurs.

03/ Préconisations

03.1 Organiser une relation symétrique équilibrée avec les pouvoirs politique et administratif locaux. Les communs font partie de l’instance économique d’un territoire : ils n’existent et n’existeront qu’autonomes des pouvoirs politique et administratif locaux. Ils disposent d’une puissance économique corrélée au nombre de communers et au volume de ressources valorisées ; ils obtiendront leur autonomie en se gouvernant eux-mêmes, sans tutelle ni gérant, et en exerçant les droits de la totalité du faisceau. Quels choix s’offrent à eux ? S’imposer en contrepouvoir économique chargé de faire valoir leurs intérêts en tant que force de défense et de progrès face aux pouvoirs politique et administratif locaux. Comment ? En détenant une capacité juridique complète face à la capacité juridique limitée des pouvoirs politique et administratif locaux. Deux institutions constitutionnelles détiennent pleine capacité juridique en France : les ménages et les entreprises, l’État aussi, mais de manière théorique. Les communs sont des ménages implicites non institués, donc sans capacité juridique. La conclusion logique coule de source : les communs peuvent s’instituer en puissance économique par organisation en société civile.

03.2/ Achever le modèle socioéconomique. Quel que soit le point de vue adopté sur le modèle socioéconomique des communs, se dégage son inachèvement actuel en France ; cependant il contient en lui-même les ressources humaines de son efficacité, voire de sa perfection en temps réel. Le modèle idéal d’Ostrom : un type de propriété entre propriété publique et propriété privée qui aboutit à un objet social remarquable par sa productivité économique globale, n’a pas atterri en France ; alors que, vers l’an 800, il semblait le standard de l’empire franc carolingien. L’histoire des finages nous a montré leur fragilité devant la violence de l’État dominant ; qu’ils soient l’objet de dérives totalitaires ou de désorganisations portant atteinte à sa cohérence. Les contrepouvoirs de crise institués deviennent sans intérêt la crise résolue, voire contreproductifs : ils se saisissent du pouvoir politique, parviennent à diriger le pouvoir administratif1 … En général, l’action de l’État afin de normer les droits individuels à son goût s’achève mal. La ligne de crête parait mince entre un organisme de commun se gouvernant paisiblement lui-même et une institution de contrepouvoir local radicale. Les règles ostromiennes exigent une robuste maintenance et une prise en charge de la variabilité de l’environnement en temps réel. La fonction de contrepouvoir local des communs relève de l’urgence et du provisoire : elle ne doit pas obérer ses fonctions organiques de base qui en créent sa puissance économique. La dérive des communismes marxistes nous le rappellera fortement.

03.3/ Faire fonctionner ensemble harmonieusement les communs avec le système financier général. En théorie, un commun n’a nul besoin de signes d’échange afin de fonctionner ; cependant, il vit dans un monde où la puissance dépend aussi de sa valeur patrimoniale en monnaie d’État ; patrimoine qui résulte de l’accumulation de trente siècles d’excédents. Les BCV disposent d’actifs patrimoniaux par héritage ; cependant, les nouveaux communs demandent l’acquisition d’un patrimoine ad hoc sur le marché et les communs traditionnels exigent des investissements afin de mettre en place les nouveaux processus de valorisation de leurs ressources. Nous sommes, pour les communs, dans la situation où s’est trouvé l’agriculture traditionnelle afin d’intégrer dans ses pratiques, à la fin du XIXème siècle les progrès scientifiques majeurs qui émergèrent ; la réponse de la société civile de l’époque fut la création de caisses locales de Crédit Agricole Mutuel. La logique financière mutuelle consiste à stocker des actifs financiers disponibles pour l’ensemble de ses membres. Personnellement, je ne vois pas de grosses difficultés afin d’adapter le Code la Mutualité à la logique des communs ostromiens ; d’autant moins que les dérives vers l’économie financière la plus cynique du Crédit Agricole ou la plus tordue de la Garantie Mutuelle des Fonctionnaires nous mettent en garde contre les dangers de la démarche. Cependant, nous devons ne nourrir aucune illusion : le monde politique actuel ne produira pas un nouveau Jules Méline, susceptible de périr dans une regrettable catastrophe aérienne2, et ce n’est pas demain que la Banque de France assurera la trésorerie d’une mutuelle financière des communs. Rappelons que le processus caisse locale de Crédit Agricole Mutuel réussit parce que les élites locales créèrent ses caisses en devenant leurs premiers membres.

03.4 Concevoir et revendiquer les communs comme objet juridique civil de droit commun devant le pouvoir judiciaire national et, par recours, devant la Cour Européenne des Droit de l’Homme. La logique civile des biens communs ne fait pas partie du corpus juridique national, alors qu’elle est inscrite en toutes lettres dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 à laquelle la France adhère depuis l’origine : Article 17 :(1). Toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité, a droit à la propriété. (2). Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété. Tâche immense et probablement coûteuse, mais nous disposons des moyens juridiques afin d’aboutir : (1) les BCV sont un objet juridique existant, dits « personne morale de droit public » (article L2411-1 du CGCT) ; (2) nous devons veiller à ce que les nouveaux communs s’inscrivent dans notre droit constitutionnel avec la totalité des capacités juridiques ; (3) la Cour Européenne des Droits de l’Homme « unifie » les droits de 47 pays signataires3 ; (4) en tout état de cause, les membres de BCV ont le pouvoir de se constituer en société civile afin de faire valoir leurs droits coutumiers et demander au gérant (le maire) de leur rendre compte. Il s’agit de faire admettre naturellement nos droits de communers en diffusant la logique du faisceau de droits anglo-saxons et la logique de la primauté de la morale locale, dans les prétoires, contre la logique du courant dominant. Pour ce faire, la nécessité de mutualiser nos moyens dans une mutuelle d’action judiciaire semble la meilleure voie ; en rappelant que la loi interdit qu’une telle mutuelle puisse avoir un autre objet.

03.5/ Tout commun établit une entreprise de droit commun en possession de la totalité des capacités juridiques. Aberration de notre législation nationale qu’établir certains types d’entreprises entre des personnes physiques à pleine capacité juridiques aboutit à une perte de capacité juridique en communauté. D’autant que les pertes de capacité juridique portent sur les secteurs de l’entreprise qui établissent son efficience : la possibilité de créer du patrimoine commun aux membres, la possibilité de gérer des stocks de régularisation du cycle de production et en prévision d’accident ou de catastrophe.

03.6/ Défendre et régulariser les communs traditionnels : il s’agit de mettre au point un modèle d’entreprise dont l’objet sera de défendre ses BCV (un syndicat), puis d’orienter l’activité économique des communs vers le modèle ostromien voulu (un ban). En résumé, établir l’entreprise à partir des connaissances théoriques, de la réalité juridique et de l’environnement, puis de soumettre ce prototype4 à une maintenance en temps réel afin de pallier aux dysfonctionnements qui apparaîtraient. Ces entreprises ont vocation à perdre leur activité à compter de la réalisation de leur objet.

03.7/ Créer les communs modernes : il s’agit de mettre au point des modèles d’entreprise dont l’objet visera l’efficience ostromienne. En résumé, établir ces entreprises à partir des connaissances théoriques, de la réalité juridique et de l’environnement, puis de soumettre ces prototypes à une maintenance en temps réel afin de pallier aux dysfonctionnements qui apparaîtraient.

Le tout en revendiquant humblement la qualité scientifique de nos conclusions, parce que réfutables. (bernard garrigues, ce 26 février 2020)




Tableau 3 : LE FAISCEAU DE DROITS

(Ownership par A. M. Honoré (1961))

1. Droit de posséder : le droit de contrôle physique exclusif de la propriété de la chose possédée. Où la chose ne peut être possédée physiquement parce qu'elle est immatérielle. La possession peut s'entendre métaphoriquement ou simplement comme le droit d'exclure d'autres personnes de l'utilisation ou d'autres avantages de la chose.

2. Droit d'user : le droit à la jouissance et à l'utilisation personnelles de la propriété comme droit à sa gestion et droit à l'autodétermination à ses revenus.

3. Droit de gérer : le droit de décider comment et par qui la chose doit être utilisée.

4. Droit au revenu : le droit aux avantages découlant de l'emploi en renonçant à l'usage personnel d'une chose et en permettant à d'autres de l'utiliser."

5. Droit au capital : le pouvoir d'aliéner la chose, c'est-à-dire de la consommer, de la gaspiller, de la modifier ou de la détruire.

6. Droit à la sûreté : l'immunité contre l'expropriation, c'est-à-dire le droit à la sécurité de la terre ne peut pas être prise au titulaire du droit.

7. Pouvoir de transmettre : le pouvoir de concevoir ou de léguer la chose, signifiant la donner à quelqu'un d'autre après votre mort.

8. Absence de terme : la durée indéterminée de la propriété, c'est-à-dire que la propriété n'est pas pour une durée d'un an, mais pour toujours.

9. Interdiction de l'utilisation nocive : le devoir d'une personne de s'abstenir d'utiliser la chose d'une certaine manière nuisible aux autres.

10. Responsabilité à l'exécution : responsabilité de perdre la chose pour le remboursement d'une dette.

11. Caractère résiduaire : l'existence de règles régissant l'activité du règlement des droits de propriété caducs ; par exemple, qui a droit de récupérer les droits à la propriété si les taxes ne sont pas payées, ou si une autre obligation de propriété n'est pas exécutée ?

1 Cf le cas des corporations jusqu’à la Révolution.

2 Référence au décès dans un accident d’avion au Cameroun en 1987 du président de la GMF.

3 Par exemple, lorsque la France a modifié, en 2014, dans tout son droit civil la notion « en bon père de famille » par celle de « raisonnable » ou « raisonnablement », la Cour a fixé dans ses interprétations les acceptions, à la fois, en droit français et en droit anglo-saxon.

4 Le prototypage est un processus habituel en matière de conception de systèmes mécaniques complexes : voiture, avion, etc … Il a été théorisé pour les systèmes sociaux complexes par Otto Scharmer comme méthodologie sous le nom de Théorie U.

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