LE CHAMP DES ÉCONOMIES
ALTERNATIVES DANS LA CRISE
MONDIALE
Nous sommes les maîtres du
bordel, dit mon frère le vicieux (Jacques Prévert PAROLES)
J’aborde
un sujet ardu ; pas en économiste, en géographe : Ces scientifiques
douteux capables d’écrire beaucoup de bêtises, certes, mais qui observent un
objet d’étude très robuste : le territoire ; dont la robustesse même
permet de valider des hypothèses les plus folles mais aussi de détruire les
certitudes les mieux ancrées depuis des siècles. Afin d’achever cette présentation
inquiétante, je précise me classer dans la catégorie des géographes systémiciens*,
sous-catégorie des géopoètes*. Personne ne me contredira si j’affirme qu’un
système géographique local rend compte d’une longue histoire de roches, d’une
longue histoire de la vie, d’une longue histoire de climat, d’une histoire des
hommes et d’une histoire des tempêtes : histoires toutes singulières, systèmes géographiques locaux
tous singuliers, quelle que soit la représentation choisie. Les systèmes géographiques
locaux respectent les théorèmes mathématiques et ils ne violent les lois ni
physiques, ni chimiques ; par contre, aboutissement d’une succession de
processus contingents, ils gardent traces et cicatrices des événements
irrationnels survenus ; dont les événements économiques et sociaux. Vous
accueillerez avec indulgences mes préconceptions : 1/ Les différentes
couches du territoire (géosphère, biosphère, sociosphère, noosphère[1],
atmosphère) se modifient dans le même sens suivant le point
d’observation : anamorphose*. 2/ Le temps qui passe traduit sur le
territoire l’énergie, la durée et la convergence consacrées aux stratégies des
acteurs locaux afin d’accomplir le naturellement possible[2] ;
pas la rationalité ou la justesse des actes commis, des choix pris, des événements
survenus. Admettons que les hommes disposent de la liberté de consacrer leurs énergies
à des actes non naturels ou impossibles.
La crise[3]
financière mondiale, comme toutes les crises, ouvre un nouveau champ aux économies alternatives à celle, dominante, relevant des intérêts et préconceptions
ultralibérales. La crise financière remet en cause les éléments d’une idéologie
totalitaire qui structure les pratiques « politiquement correctes » depuis une soixantaine d’années,
pratiques qui tendent à mondialiser les échanges de biens, de services, des
signes monétaires (ou de leurs représentations). Nous pouvons observer, en
marche ou souhaitable :
·
Un rééquilibrage entre les
instances* les plus remarquables du territoire : politique, économique, sociale et technique. Afin de
simplifier, je propose de considérer que chaque instance participe à
l’environnement de l’ensemble (ou de toutes les autres). Il s’agit de généraliser
le concept d’environnement naturel des écologues, avec la préconception qu’il
existe probablement un mix, optimum et singulier, entre les rapports de poids
des différentes instances dans les systèmes locaux géographiques ; que ce
mix*, hic et nunc, dépend du poids
relatif dans l’environnement global de chacune des instances et de leur
robustesse.
·
Un rééquilibrage de la création
de valeurs relatives entre l’économie
exclusive des produits et services
marchandisables et l’économie domestique, l’économie publique, l’économie bénévole.
Prétendre que seule l’industrie crée de la valeur relève de l’idéologie
aberrante. Pour caricaturer : Le poireau produit par un exploitant
agricole à la TVA crée de la valeur ; celui produit dans mon jardin, non.
Une clinique privée crée de la valeur ; l’hôpital public, non. Fernand
BRAUDEL[4]
a déjà apporté sa vision à ce type de question ; elle sert de socle à nos
approches actuelles des économies alternatives. Les réponses reposent dans
notre savoir à consolider*, d’une part, les flux et les bilans des différents
acteurs du territoire ; d’autre part, les flux et les bilans des différentes
modalités économiques pratiques mises en œuvre sur le territoire.
·
Une mise en cause de la
priorité du partage de la valeur créée au bénéfice du capital, au détriment du travail mais aussi des ressources,
renouvelables ou pas. Le concept de productivité paraît d’une logique
impeccable et implacable ; heureusement, il s’agit d’un concept généralement
faux à long terme pour tout système global. Exemple d’un système géographique
local qui tournerait à partir d’une instance sociale particulièrement lourde et
robuste : nous ne savons pas calculer la productivité d’une activité
sociale exclusive (il paraît probable que son rendement énergétique soit inférieur
à celle des systèmes biologiques les plus répandus : 1%). Décider que la
productivité globale dépend exclusivement d’une productivité du travail dont le
rendement approcherait les 100% mais dont les gains seraient affectés,
obligatoirement, au capital relève de l’idéologie. Le nombre des impasses
logiques liées au concept de productivité impressionne : 1/ ignorance
complète des décideurs : la plupart sont incapables de définir la
productivité ; 2/ ne considérer que la productivité du travail ; 3/
croire au rendement de 100% ; 4/ calculer la productivité en valeur,
alors qu’elle ne peut se mesurer qu’en volume. Etc ..
·
La perte de pertinence des
modèles mathématiques standards (mais plus
spécialement de la pensée algorithmique linéaire) dans un monde de type météorologique
dominant où prévalent les variations discontinues, les processus contingents,
les évolutions chaotiques ; situation qui réclame un renouveau de la pensée
heuristique à partir de l’appréhension effective des nouveaux outils mathématiques
et des puissances de calcul dégagées par la diffusion et la maturité des systèmes
informatiques. L’évolution des faits économiques depuis le début de la crise
financière mondiale (juillet 2007) montre de manière sensible que les décisions
visant à la contrôler sont à peu près aussi pertinentes que décider l’anticyclone
des Açores à habiter en France du 1er juillet au 31 août. Si nous
entrons dans une économie qui relève des représentations mathématiques proposées
par la théorie[5] du chaos,
les décideurs doivent trouver les attracteurs qui permettent d’utiliser
positivement l’énergie des tempêtes ; les acteurs, les lieux d’abri (géographiques
ou thématiques) possibles. N’allons pas habiter l’œil du cyclone.
Un
article du Monde Diplomatique du mois de novembre 2008[6]
donne une vision assez synthétique de l’ampleur de la question : (flux
journaliers à la louche) 1/ commerce mondial 20 milliards de $, 2/ PIB
mondial 120 milliards de $, 3/ économie financière (spéculations) 5 500
milliards de $. Clairement, la liberté du commerce mondial constitue un
minuscule prétexte afin de justifier la réalité spéculative de l’économie
financière. La crise suggère que les flux de l’économie financière représentent
mille puissants rapides qui agitent
l’économie réelle plutôt qu’un long fleuve tranquille qui la
favoriserait. Un tel point de vue peut établir une hypothèse fructueuse à
explorer pour le géographe du développement local ; en aucune manière, une
vérité scientifiquement établie.
Charles DARWIN(1809-1882), Thomas
MALTHUS (1766-1834) et Adam SMITH (1723-1790)
Les
choix ultralibéraux, issus de la pensée anglo-saxonne de l’économie politique,
représentent un mix pervers des interprétations les plus malveillantes des
recherches d’Adam SMITH, de Thomas MALTHUS et de Charles DARWIN. Que la pensée
de ces trois phares réponde aux acquis sociaux et politiques de la Révolution
Française paraît une démarche normale dans l’évolution de la pensée scientifique universelle ;
moins normale, qu’elle serve de base à une idéologie cynique basée sur les
droits des plus forts, de prétendues lois économiques, de prétendus déterminismes
biologiques. Un article récent du Monde Diplomatique (avril 2009) parle « d’éloge
de la cupidité » (Bernard UMBRECHT) comme logique du discours
politiquement correct en matière d’économie ultralibérale. Émile DURKHEIM[7],
à la fin du XIXe siècle montrait que, lorsqu’un vice moral attentait gravement
au contrat social, la société devait exclure le vice et les vicieux par la loi
pénale. Nous pourrions conduire le même raisonnement, mutatis mutandis, à partir de « l’éloge de la vanité » lorsque
nous subissons les excès de la communication médiatique qui tient lieu de débat
politique.
Dans
cette conjoncture complexe, il me paraît possible de conjecturer quelques
propositions[8] qui
mettraient en évidence le champ du possible à labourer pour l’économie
alternative. A priori, il devrait s’étendre parmi les friches de l’économie
ultralibérale et les nouveaux territoires qui émergeront de la crise passée. En
toute logique, ce champ n’est pas réservé aux économies alternatives mais,
encore moins aux économies alternatives bienveillantes pour l’avenir des hommes[9].
1 La théorie du chaos
La
disproportion entre les flux financiers de l’économie réelle et ceux de l’économie
spéculative suggère une évolution tempétueuse, voire cyclonique, qui balaie le
monde, alimentée par les ordres des traders. L’économie mondiale relève-t-elle
maintenant des outils d’analyse de la théorie du chaos[10]
(cas de la météorologie) sur le long terme ? Quels systèmes géographiques
seront-ils atteints par le cyclone et comment ? Analogie peu satisfaisante
dans la mesure où l’ouragan balaie d’abord chez ceux qui ont joué avec et,
seulement après, chez les innocents un peu trop proches des joueurs. Nous avons
à comprendre la manière dont de telles forces agissent localement. La
connaissance des grands systèmes chaotiques[11]
que nous fréquentons tous les jours fournirait quelques pistes ; encore
faudrait-il maîtriser a minima les mathématiques du calcul différentiel et du
chaos, ce qui n’est pas mon cas. Quatre points : 1/ les systèmes
chaotiques se caractérisent par le nombre de leurs variables indépendantes
structurantes[12] supérieur
à trois ; 2/ une géométrie extrêmement changeante de leur forme dans le temps
qui interdit, en pratique leur représentation en trois dimensions ; 3/ le
caractère dissipatif des systèmes chaotiques (plus généralement, des systèmes
instables), c’est-à-dire qu’ils tendent à déposer un peu n’importe où l’énergie
qui les anime[13] ; 4/
une variation moyenne faible à long terme des variables structurantes de base
(température, pression, par exemple) du système qui fonctionne cependant avec
des écarts locaux très importants à court terme[14].
Plus essentielle, l’invariance d’échelle : à toutes les échelles, l’évolution
dynamique du système répète la même forme ; « Même dans les
domaines éloignés de la physique, les scientifiques commencèrent à penser en
termes de théories fondées sur des hiérarchies d’échelles. Ce fut, par exemple,
le cas en biologie de l’évolution, où l’on se rendit compte que, pour être
complète, une théorie devait identifier des schémas de développement à la fois
dans les gènes, les organismes individuels, les espèces et les familles d’espèces. »
(La théorie du chaos, p. 153). Afin que
la théorie tienne le coup, nous devons trouver suffisamment d’indices nous
permettant de voir et comprendre ce qui se passe dans les systèmes géographiques
locaux sous l’effet des cyclones financiers ; puis de vérifier a minima si
le même schéma se développe à l’identique à chaque niveau d’échelle. En pensant
que nous avons à faire à deux processus : 1/ celui qui amasse le cyclone
financier à partir de lieux bien repérés : Wall Street et la City of
London (nous ne nous y intéresseront pas), et qui prend naissance partout où
des banquiers ont prêté de l’argent à des gens qui devaient se loger mais
n’avaient pas les moyens matériels de rembourser l’emprunt (cas de la bulle
immobilière) ; 2/ celui de la diffusion et la retombée de l’énergie « dégradée »
sur les systèmes géographiques locaux.
·
Il paraît de forte probabilité
que les actifs immobiliers locaux* (qu’ils servent de garantie ou pas à des
procès de plus value spéculative) retourneront dans les bilans des acteurs
locaux pour leur valeur économique la plus certaine. Un tel mouvement devrait
se répercuter à tous les niveaux d’échelle.
·
Ce mouvement peut se répercuter
sur l’ensemble des actifs locaux insusceptibles de servir de support à un procès
spéculatif et provoquer leur réévaluation relative.
·
Les systèmes géographiques
locaux se retrouvent dans une situation où le travail crée plus facilement du
patrimoine que du revenu. Leur problème sera de « transformer la pierre
en pain », selon la formule de John
Maynard KEYNES.
·
Dans le cyclone financier, la
monnaie représente l’énergie ; pas les éléments qui s’organisent en
turbulences.
·
Afin de poursuivre l’analogie,
nous pouvons estimer que le cyclone financier détruit des emplois industriels,
du pouvoir d’achat et des actifs immatériels en consommant l’énergie violente
du phénomène ; et d’autre part, qu’il condense où il passe les flux
financiers volatils en la part la plus robuste de l’économie réelle : le
patrimoine[15].
La mathématique
du chaos rend compte de la position du système dynamique dans l’espace des
phases*. Le physicien quantique Richard FEYNMAN nous fournit un bon raccourci
opérationnel de la théorie du chaos : « Pourquoi faut-il une
quantité de logique infinie pour décrire ce qu’il va se passer dans une toute
petite région de l’espace-temps ? ». Personne ne reconnaît au géographe géopoète une logique
infinie mais plutôt son intention d’observer, sans délai, le possible.
2 Le cas de la transition de phase
L’augmentation
exponentielle[16] du métabolisme
local* rend-il compte d’une « transition de phase* » : est-il possible de définir l’ancien état qui
disparaît et le nouvel état qui se met en place ? Dans un pays comme la
France, le géographe constate, par l’évolution rapide des flux du système géographique
local, flux généralement à caractère économique, l’augmentation du métabolisme
local : flux financiers, d’énergie, d’information, de transport de matière,
de déplacements, d’information, d’eau, etc … Les chimistes et les physiciens
nous ont transmis ce concept de métabolisme lié aux vitesses des réactions qui
se produisent dans un système clos, vitesses des réactions liées à la valeur
des variables structurantes de ces systèmes : en général, la pression et la température.
Le concept a migré chez les biologistes ; par exemple, les mammifères présentent
un métabolisme généralement inversement proportionnel à leur taille. Rien de
tel parmi les systèmes géographiques locaux lorsque nous choisissons de les
considérer comme dominés par leurs instances sociale, économique et politique,
dans un environnement technique très puissant, plus puissant (et de loin) que
l’environnement naturel. Alors leurs variables structurantes deviennent repérables :
leur capital social (la puissance du
système) et la densité des relations
(symétriques) entre acteurs (le rapport des relations existantes sur les
relations possibles). Si nous acceptons l’analogie que l’augmentation du métabolisme
des systèmes géographiques locaux traduit une transition de phase[17],
nous en acceptons aussi les conséquences : Une transition de phase 1/ libère
ou consomme de l’énergie ; 2/ l’augmentation du métabolisme traduit une
consommation d’énergie ; 3/ une transition de phase qui consomme de l’énergie
crée des systèmes plus instables et en déséquilibre.
Que
peuvent les économies alternatives dans une telle galère ? Tout d’abord,
constatons que les moyens d’action en notre possession afin de changer l’avenir
ont un caractère local alors que nous nous opposons à des processus mondiaux
puissants, coordonnés, qui, de plus, utilisent des techniques « à effet
levier »[18] complexes
et biens expérimentés. Les moyens des économies alternatives se limitent à agir
sur les variables structurantes des systèmes géographiques locaux ; et,
plus précisément, sur la densité des relations symétriques et sur la dimension
culturelle du capital social. Le rapport des forces en présence paraît
ridicule ; pourtant la seule manière sûre de perdre une bataille, c’est de
ne pas la mener. Nous changerons l’avenir, un à un, des systèmes géographiques
locaux parce que, à ce niveau-là, nous pouvons accéder à tous les rééquilibrages
possibles. L’Europe a déjà connu une crise de ce type aux XIème et XIIème siècles
lorsque la majorité de la masse monétaire a été transformée en trésors
jalousement gardés. Entre 1120 et 1150, le mouvement cistercien, en créant
trois cents monastères à travers notre continent, changera complètement son
avenir et fera redémarrer la machine économique en créant de la valeur nouvelle
à partir de l’agriculture et des nouvelles techniques d’alors. Ne croyons pas
que l’économie financière, qui s’attache à coup de millions les plus grosses têtes
matheuses au fur et à mesure qu’elles émergent, ignore les équations
fractales : elle fait mine d’ignorer seulement que, comme le temps, ces équations
sont orientées dans une direction vers (par exemple) une surface qui devient
infinie dans un volume constant[19].
Un système géographique local alternatif peut être représenté par un réseau
neuronal dans lequel chaque acteur est relié à parité avec tous les autres et
qui développe une surface de contact maximum avec tout son environnement, dont
technique. Dans une telle configuration, il importe d’explorer rapidement tout
le possible et d’en prendre possession ; pas de calculer l’algorithme de
la meilleure voie.
3/ Le compte des malthusiens
De la
pensée de Thomas MALTHUS émerge cette démonstration que la population augmente
selon une progression géométrique et les ressources selon une progression
arithmétique[20] ; donc
que chaque journée nous rapprocherait de celle où les ressources alimentaires
de la Terre ne pourront plus nourrir tous ses habitants. La démonstration du démographe
apparut d’une logique implacable : quelle serait aujourd’hui, 210 ans plus
tard, cette pensée en constatant qu’existent 6,5 milliards d’hommes sur notre
terre et que, si la pauvreté n’a pas trop régressé, elle a moins d’effets
visibles ou cruels en Angleterre ?
À Thomas MALTHUS échappe que la réalité peut être représentée
synchroniquement mais aussi diachroniquement ; puis que ces représentations,
pour être valides, doivent être cohérentes entre elles[21].
Nous dirons que les hommes, ensemble, disposent d’une capacité infinie de réorganiser
leur territoire sous la pression de la nécessité et du lucre, de découvrir de
nouvelles ressources et de les épuiser sans aucune vergogne. L’augmentation de
la population signifie aussi une augmentation des ressources ; plus, le développement
de la surface interface entre la société locale et la totalité de son
environnement, tel l’arbre qui gagne de nouvelles surfaces de feuilles et de
racines. Peu à peu, émerge l’idée de la possibilité de produire toujours du développement
à ressources matérielles constantes ; cette idée implicite n’a jamais quitté la nature depuis
l’origine.
4/ Coopération
Les
travaux de Robert AXELROD, dont la synthèse fut publiée en français[22],
apportent une réponse définitive à la question de l’efficience[23]
comparée des processus de coopération à ceux du chacun pour soi ; ce
furent des travaux de grande ampleur, habituels de la recherche américaine
lorsqu’elle s’occupe sérieusement d’un sujet. Réponse, à mon avis, définitive
au moins en ce qu’elle concerne les systèmes locaux en équilibre et
suffisamment pérennes. La thèse de Robert AXELROD montre des écarts
d’efficience de 1 à 6 suivant la règle de coopération choisie[24] ;
je propose de considérer qu’il existe une corrélation positive entre
l’efficience d’un système et ses rendements potentiels ; proposition qui
semble logique de prime abord mais n’est pas démontrée. La thèse démontre aussi
deux points importants pour cette communication : 1/ Elle réduit la part
opérationnelle de la décision stratégique à sa plus simple expression, la règle
de décision*. 2/ Elle démontre la relation
entre la simplicité de la stratégie individuelle des acteurs et son efficacité :
alors que nous avons tous appris la stratégie comme l’art des décisions
complexes.
Je ne
sais comment se comportent les systèmes locaux en déséquilibre dans
l’hypothèse de cette communication ; je propose la simplification logique
de prétendre qu’ils réagissent beaucoup comme un navire dans la tempête avec
les conséquences que cela implique : rapport des énergies mises en œuvre,
robustesse, etc … Nous savons, par ce qui précède, que la possibilité d’une évolution
chaotique du système géographique local proviendrait de l’introduction d’une
nouvelle variable structurante parmi ses dimensions ; mais aussi
qu’existent des systèmes très dynamiques, à plus de deux variables
structurantes, d’une robustesse remarquable : par exemple, le cerveau.
5/ L’environnement technique
Jacques
ELLUL[25]
a conduit de nombreux travaux sur le poids de plus en plus lourd de
l’environnement technique dans l’évolution et l’avenir des systèmes
locaux ; à tel point qu’il concurrence comme milieu vital l’environnement
naturel ; concurrence qui va jusqu’à la destruction[26].
Nous savons depuis très longtemps qu’aucune technique n’incorpore de règles éthiques
ou morales ; mais nous assistons aussi à une dérive où les décisions à « justifications »
techniques remplacent les décisions politiques. L’humanité a connu de
nombreuses dérives du même genre : les justifications religieuses,
ethniques, sociales, etc … sans vraiment que cela interrompe durablement le développement.
Nous nous trouvons cependant dans une situation inédite compte tenu du niveau
d’énergie brutale (ou soutenue) que l’environnement technique sait mettre en œuvre,
sans aucune commune mesure avec celle, potentielle, des acteurs locaux ;
nous avons bien conscience que les errements de la finance spéculative relève
de processus techniques très élaborés. Cette remarque nous permet de mettre en évidence
notre obligation à tenir compte de la totalité de l’environnement des systèmes
géographiques locaux soit pour les maintenir, soit pour les diriger ; soit
en subissant l’environnement, soit en l’utilisant.
6/ La part incohérente de la sociosphère.
Pour le
géographe, analyste des systèmes locaux, il devient rapidement évident que leur
développement repose sur la plus ou moins grande convergence des stratégies
individuelles des acteurs locaux. Si nous descendons plus fin dans l’analyse,
nous nous apercevons qu’il existe, dans les systèmes géographiques locaux, un
horizon intermédiaire général entre les entreprises[27]
locales et les acteurs individuels : les familles, acteurs majeurs ;
je parle de la cellule familiale. En théorie du chaos nous ne pouvons pas
accepter la simplification qui consiste à négliger le niveau familial dans
l’analyse de la dynamique des systèmes locaux, compte tenu de leur sensibilité
extrême aux conditions initiales (au moment où débute l’observation). Emmanuel
TODD[28]
nous a donné un aperçu de grande ampleur sur l’évolution des sociétés locales
en fonction de la prégnance des règles respectées par les familles dans leur
fonctionnement. Le Code Civil formalise en loi, plus ou moins précisément, ces
règles les plus admises ; mais aussi l’équilibre entre les droits
individuels les plus évidents et les droits de la famille comme entité sociale
et économique ; les droits de la famille, même s’ils existent en France,
ne semblent définis ni solennellement, ni exhaustivement suivant la grille
d’Amartya SEN[29], ni bénéficier
de garanties organisées. D’un autre point de vue, la création et le
fonctionnement de la cellule familiale repose sur une logique à dominante pas
exactement rationnelle. (Nous pouvons, certes, imaginer le système dynamique
familial, tel un système solaire, comme plusieurs corps tournant les uns autour
des autres, pouvant être décrit par un ensemble d’équations différentielles basées
sur la masse de chacun et la distance qui les sépare ; ce me paraît
impossible dans la mesure où les unités de masse et de distance des corps
familiaux ne sont pas définies, d’une part, et que, d’autre part, ces
dimensions imaginaires varient de manière aléatoire( ?) dans des temps très
courts. (Intuitivement, je crois que les systèmes
familiaux peuvent être analysés par les mathématiques du chaos ; je leur
suppose un temps caractéristique* de l’ordre de 30 jours. Il faut surmonter la
difficulté de découvrir et définir leurs variables structurantes : ce me
paraît relativement plus simple que la météorologie, parce que la construction
d’un système familial qui relèverait des mathématiques du chaos peut se
concevoir a priori[30])). En attendant, il paraît correct, pour le moment et en général,
de considérer les systèmes dynamiques familiaux, par construction, schizophrènes
et incohérents[31] ; donc
susceptibles de modifier sensiblement et rapidement les conditions initiales
d’analyse des systèmes géographiques locaux. Nous devons apprendre comment les
systèmes géographique locaux réagissent globalement sous l’effet de l’énergie
importante que ceux-ci diffusent ou absorbent. Dans les sociétés basées sur la
propriété privée, il existe un effet très visible : l’utilisation de l’énergie
mise en œuvre ou captée par le niveau familial se condense en accumulation de
patrimoine. Je ne peux comprendre aujourd’hui comment l’horizon le plus instable
de la sociosphère produise sa partie la plus robuste et ce, quelles que soient
les « difficultés [32]»
dynamiques du système. Je proposerais l’hypothèse que, sous l’effet de
l’augmentation du métabolisme local, l’horizon familial finisse par jouer le rôle
d’une huile (certains diraient, une boue !) entre l’horizon individuel et
le reste de la société locale ; cette hypothèse simplificatrice doit être
vérifiée. Par rapport à l’accumulation (stockage) patrimoniale, le géographe
observe ce que je propose d’appeler « l’effet buvard » du
territoire : il suffit de rapporter sur une carte muette, les créations
patrimoniales les plus visibles des siècles passés pour, dans un premier temps,
établir les zones de développement multiséculaires ; dans un deuxième
temps, de les dater. Traiter enfin
un dernier point : j’observe que, sur tout territoire, la manière dont
s’applique l’ensemble des règles (dont la loi) qui régissent la société locale,
détermine ses avenirs naturels[33]
possibles ; qu’en somme, ces règles jouent en logique le même rôle
d’attracteur que ceux, mathématiques, construits par la théorie du chaos.
PROPOSITIONS
Au terme
de cette communication, évidemment chaotique et caricaturale, je devrais
formaliser les propositions qui émergent du discours ; discours dont
l’objet porte sur l’avenir des systèmes géographiques locaux pris, peut-être, dans
la tourmente énergétique d’une crise financière majeure. Je tenterais de rester
dans la théorie du chaos en suivant le conseil implicite de Richard
FEYNMAN : Définir l’attracteur idéal qui permettrait à un système géographique
local donné de parcourir sereinement l’espace des phases. Je crois à la pertinence
des processus intentionnels définis comme « faire ce que l’on préfère
parmi tout ce qui est possible » ;
pas aux processus volontaristes, déterministes ou aléatoires. La démarche des révolutionnaires
du 4 août 1789, lorsqu’ils écrivirent la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen, me paraît la démarche type qui corresponde à ce que je
conclue : elle a défini l’attracteur de tous les acteurs d’une démocratie,
à quelque niveau que chacun soit placé, depuis 220 ans. Dans le cadre de la théorie
du chaos, l’avenir des systèmes géographiques locaux dépend de la capacité des acteurs de l’économie
alternative bienveillante à formaliser et
mettre en œuvre une déclaration de leurs droits et leurs principes généraux
ayant fonction d’attracteur :
Art. 1 Toute
communauté locale de base a la personnalité juridique complète.
Art. 2 Toute
communauté locale de base a compétence générale.
Art. 3 Toute
communauté locale de base a droit à un territoire exclusif.
Art. 4 Toute
communauté locale de base a le droit d’émettre une monnaie dont la masse
corresponde et suive son activité réelle.
Art. 5 Une
communauté locale qui n’établit pas une règle de coopération bienveillante
entre ses membres, ou ne la garantit pas, n’existe pas.
Art. 6 Une
communauté locale ne peut violer de quelque manière que ce soit les droits
individuels garantis.
Art. 7 La
direction d’une communauté locale garantit l’équilibre, l’égalité et l’équité
entre les différentes instances qui la compose : politique, économique,
sociale et environnementale.
Art. 8 Une
communauté locale garantit l’égalité de la valeur de toute activité, quelles
que soient ses modalités : ménagère, marchande, bénévole, publique.
Art. 9 La
direction d’une communauté locale ne peut représenter à aucun niveau d’échelle
comme intérêt public la somme des intérêts individuels et des droits
individuels de ses membres.
Art.10 L’État
est le protecteur des communautés locales de base.
Art. 11 Etc …
Je n’ai
ni mission ni compétence pour élaborer seul une telle déclaration ;
seulement une connaissance approximative de la théorie du chaos qui me permet
d’affirmer que le champ du possible existe, vaste, et qu’il n’appartient qu’à
nous qu’il soit cultivé par une économie alternative bienveillante. (bernard
garrigues, 13 février 2010)